PAR Mbegaan Koddu

Ministère de la Culture, de l’Artisanat et du Tourisme

Monsieur le Ministre de la Culture BONNE ARRIVEE.

Nous vous félicitons pour la confiance que MM le Premier Ministre et le Président de la République ont placée en vous. Nous n’avons aucun doute quant à votre capacité à diriger le département ministériel qui vient de vous être confié. Vos différentes interventions et actions (parfois périlleuses) dans les tranchées, lors des batailles face au régime défunt ou à l’Assemblée Nationale ont été décisives. Tantôt juriste éclairé, tantôt tribun de la plèbe et souvent militant d’avant-garde en action, vous présentez pour l’heure, l’image d’un dirigeant qui éclaire la lanterne du peuple dont il est, du reste très proche. Personnellement, je suis encore marqué par la profondeur de vos analyses à travers vos publications sur les réseaux sociaux mais aussi par cet humour bien sénégalais qui transparaissait dans les piques très taquines à l’endroit de Oumy Ndour, amicalement vindicative. Fine intelligence, agréable sociabilité.

Que le Guide Suprême vous accompagne dans l’accomplissement de votre nouvelle charge.

En ce qui concerne le segment Culture, votre prédécesseur a fait de son mieux avec courage, fermeté et pondération. En peu de temps, Madame le Ministre a fait bien mieux que nombre de ses prédécesseurs dans la gestion des affaires culturelles.

Affaires culturelles ? Oui. Monsieur le Ministre. C’est de cela qu’il s’agit depuis les années 80. Le Président Senghor avait une définition universaliste de la Culture théoriquement déclinée en ‘’ Enracinement-Ouverture’’. Malheureusement, cela s’est traduit dans la pratique par une politique assimilatrice dont le but était de faire des Sénégalais des Africains de civilisation française. De grands moyens ont été déployés pour cela. C’est dans ce cadre que le Président lui-même assimilé avait fait venir de la France, de Haïti, des Antilles et autres des acteurs culturels très français comme Maurice Béjart, le couple Lucien et Jacqueline Scott Lemoine, Jacques Césaire et Germaine Acogny, pour ne citer que ceux-là. Mais, quoi que l’on puisse dire, il y avait alors, une politique culturelle. Senghor savait ce qu’il voulait et se donnait les moyens de le faire.

Que s’est-il passé après lui ? Il faut se rendre à l’évidence. Depuis le départ de Senghor, nos ministres en charge de la Culture n’ont fait que gérer les affaires culturelles, c’est à dire assurer de la logistique aux acteurs culturels et visiter des Musées pour contempler des objets de culte désacralisés, ce qui relève plutôt d’un exotisme emprunté.. Certains ministres ont fait mieux que d’autres dans les relations entre institutions et acteurs culturels. Cela a fait la différence.

Monsieur le Ministre nouvellement installé. Allez-vous être un Ministre chargé des Affaires culturelles ou un Ministre de la Culture au service de la Vision Sénégal 2050 ? La question est importante.

Je me rappelle que lors d’une rencontre tenue juste après la formation du premier gouvernement SONKO, on se plaignait que le secteur culturel ait été négligé. Je disais à mes collègues et confrères : « Ces jeunes dirigeants sont des révolutionnaires. S’ils ne nous voient aucune utilité pour leur projet de société, ils négligeront notre secteur. C’est à nous de donner un contenu à notre matière de façon à concourir à la politique afro-souverainiste que réclament les peuples africains. Pour cela, il nous faut définir ou alors redéfinir la Culture qui, disait le Premier Ministre, Ousmane SONKO, citant Senghor, est au début et à la fin du développement. Justement, le but est d’imprimer à la masse une mentalité de développement, selon toujours le Premier ministre.

Après avoir fait le tour des définitions académiques (Voir dictionnaires) dans leurs approches littéraire, sociologique ou philosophique, suite à mes propres observations, je me suis fait une compréhension personnelle de la chose : « La Culture est pour un peuple, l’expression souveraine de sa vision du monde. Elle est transmise de génération en génération.» On reconnait la Culture d’un peuple à sa façon de concevoir ses relations et interactions avec son environnement ainsi qu’avec le cosmos à travers des pratiques conformes à des valeurs propres. Elle est pour un peuple ce que le nez est sur un visage. On le voit en premier et souvent on juge le plastique d’un individu à partir de son nez. (Sic) Dès lors, une culture qui serait universelle serait pour moi difficilement concevable. A moins qu’on veuille se diluer dans un univers qui nous ignore ou nous brime. Aimé Césaire alors a quitté le Parti communiste Français pour refuser cela. Civilisation universelle égale mondialisation de la civilisation occidentale. Que l’on ne me parle pas des nécessaires et immanquables influences réciproques. L’épiphénomène n’est pas le phénomène.

Ainsi définie, la Culture a une importance capitale pour une nation. En effet, elle est pour une nation ce que le fondement est pour un bâtiment. Si dans une entité nationale, le substrat culturel n’est pas bien solide, le bâtiment-nation risque de se fissurer, de s’affaisser et de s’écrouler quelle que soit la dextérité du maçon. De ce point de vue, Monsieur le Ministre, le bâtiment Sénégal gagnerait à se redresser sur un bon soubassement culturel bâti à partir de nos propres valeurs de civilisation, départi de l’héritage culturel français tant que celui-ci va à l’encontre de notre patrimoine culturel. Il me plait d’attirer l’attention sur le deuxième élément de la citation de Cheikh Anta Diop. : « … et arrachez votre patrimoine culturel. » (Formez-vous, armez-vous de sciences jusqu’aux dents et arrachez votre patrimoine culturel.) Il répétait toujours qu’on ne peut pas se développer dans une culture étrangère.

Le Ministère de la Culture doit être un ministère de souveraineté pour sa transversalité et son importance stratégique. Son rôle ne doit pas être que d’accompagner mais aussi et surtout d’orienter, d’impulser et de contrôler la conformité à nos valeurs de toute activité gouvernementale. Oui ! Monsieur le Ministre, nous devons nous alimenter, nous soigner, éduquer nos enfants, nous juger, commercer et communiquer avec les autres, vivre et procréer … selon notre Culture. On devrait s’imposer un référentiel culturel pour chaque ministère de la République. Je rêve peut-être !? Pourtant si les pays asiatiques avec la Chine comme tête de file ont connu un développement aussi fulgurant que rapide c’est parce qu’ils ont su s’appuyer sur leur propre mode de pensée loin d’un quelconque mimétisme.

Le Ministère de la Culture doit travailler à déconstruire la mentalité infériorisante et complexée du citoyen sénégalais. Amadou Aly Dieng disait que tout ce que nous savons faire, c’est imiter comme le singe et répéter comme le perroquet. Il a raison. C’est pourquoi nous sommes toujours à la traine parce que nous ne savons rien fabriquer ni transformer. Nous ne faisons que consommer ce que d’autres font pour nous.

Monsieur le Ministre, si vous décidez de gérer les affaires culturelles, vous ferez de l’administration en vous laissant entrainer dans un fonctionnement routinier d’une administration addicte de pratiques républicaines dépassées. Par contre, si vous vous lancez le défi du Ministère de la Culture, vous pourrez être l’Archimède du changement systémique. Vous tiendrez alors le levier par lequel le gouvernement du Jub Jubal Jubbanti élèvera le Sénégal au niveau des pays souverains et développés. C’est possible. Vos propres ressources morales et intellectuelles, votre patriotisme, votre abnégation dans le combat citoyen, votre sens élevé des enjeux ainsi que votre proximité avec les éléments du peuple vous aideront à réussir le challenge. Nous comptons sur vous. Le tandem DIOMAYE-SONKO aussi, j’imagine.

En passant, l’exemple des Occidentaux mérite une grande attention. L’institut français, le British Council, Goethe Institut, American center, Gorée Institute, Timbuktu Institute, TCF Canada…Toutes ces entités sont implantées à Dakar dans le but d’occuper l’espace culturel sénégalais. Ce sont des instruments au service d’une orientation culturelle bien définie avec des moyens financiers colossaux. Toute cette armada n’est pas déployée ici pour rien. Nous le savons tous.

La grande majorité de notre production culturelle est tributaire des fonds alloués par ces organismes qui orientent nos œuvres culturelles et notre réflexion dans le sens de leur vision du monde : musique, théâtre, productions cinématographiques, littérature… Bref, notre génie créateur est mis à la disposition de la culture occidentale.

Et puis, nos programmes scolaires ne sont pas épargnés. Nous avons un Groupe de partenaires de l’Education dont l’UNESCO est le chef de file. Notre éducation est prise en otage. Les valeurs occidentales gouvernent nos programmes scolaires. Le professeur Djiby Diakhaté a raison de dire que nous avons une école au Sénégal au lieu d’une école sénégalaise.

Cela dit, l’armée française est partie. C’est une excellente chose car sa présence blessait notre orgueil national Cependant les soldats de la culture française occupent encore notre espace civilisationnel. Cela oblitère notre authenticité et notre mentalité de développement, ce qui visiblement va dans le sens de leur souhait. Que faire ?