
2e PARTIE
Salaam à tous
En effectuant le tour du propriétaire, passant par le périmètre de la Culture, vous vous arrêterez à la station LIVRE. Heureusement que ce sera dans le cadre d’une visite guidée. Autrement, vous vous perdiez. La première fois que j’y suis allé, j’ai longtemps trainé le long de l’avenue, allant et revenant, cherchant une enseigne glorieuse qui indiquerait DIRECTION DU LIVRE … Finalement, essoufflé, au bord du découragement, je faillis rebrousser chemin. Alors, m’accrochant à un ultime espoir, j’appelai feu Caster Camara qui me donna les indications nécessaires avec une précision de coordonnées géographiques. C’est dans une vieille bâtisse, style colonial que j’ai trouvé à l’étage, un modeste écriteau m’indiquant que c’est là … Je me suis dit : « A bon vin, point d’enseigne. »
En réalité Monsieur le Ministre, si la modestie des lieux contraste d’avec le dynamisme et l’efficacité de l’équipe qui y travaille, elle correspond à l’humilité et à l’amabilité du Directeur. Je l’ai trouvé très fonctionnaire mais grand lecteur et militant du Livre. Plus tard, à l’occasion d’un salon du Livre, j’ai découvert sa sénégalité très marquée. Cela m’a rassuré, car, à cette station, certaines gens se croient obligées de faire les tubaab.
La Direction du Livre nous aide, nous éditeurs, en nous appuyant ponctuellement à publier quelques ouvrages à charge pour nous de lui en ristourner un certain nombre qu’elle distribue dans des bibliothèques, à travers tout le pays. Ce qui constitue un double avantage pour nous, car c’est l’occasion d’enrichir notre catalogue mais aussi cela fait plaisir de voir sa production dans sur des rayons à travers les régions et département du pays. A l’occasion des salons internationaux nos livres sont distribués. Cela ajoute à la visibilité de notre travail.
Sur un autre plan, elle nous accompagne dans la sur formation avec l’organisation de séminaires et autres ateliers. C’est dire qu’ils font du bon travail. Mais, Monsieur le Ministre, au vu des enjeux, cela suffit-il ?
En Juillet 1968, le Président Ahmed Sékou Touré proclama la Révolution culturelle guinéenne. Le patrimoine culturel guinéen était systématiquement mis en valeur. Les artistes étaient enflammés par un sentiment national galvanisé. Même les artisans s’en mêlèrent. Des foires régionales périodiques étaient organisées et c’était l’occasion d’une franche et loyale concurrence dans le domaine de la créativité. Très vite, le phénomène s’exporta. Bembeya Jazz rayonnait dans le monde entier ainsi que les ballets africains, Keita Fodéba… Pareil pour le football… Au moment où les autres pays étaient à la salsa et à la musique française, les Guinéens dansaient au rythme de leur culture authentique. C’est de là que venait la fierté guinéenne largement mise en mal à partir de 1984 avec l’arrivée de Lansana Conté. Dès lors c’était l’ouverture avec ses revers. La Guinée, mal préparée à la mondialisation, ouvrit ses frontières physiques et mentales. La France s’y engouffra.
La diplomatie des valises fut accompagnée par ce géant du monde qu’est le Livre. Elle sait, la France de Voltaire, de Diderot, de Montesquieu, de Céline et consorts, qu’un seul lecteur peut propager les idées les biscornues et les faire accepter par la magie et le scintillement de la langue.
Elle déporta sur la capitale une cargaison de livres (un bateau) gracieusement offerts et livrés gratuitement. C’était encore du temps des boutiques d’état. Le livre le plus cher pouvait s’acquérir à 125 f GN. Depuis lors, ce sont des écoles françaises qui en donnent par milliers à la Guinée régulièrement. Il c’en suivirent un bouillonnement intellectuel à travers émissions télé, conférences, publications et évènements littéraires…
Résultat des courses, de nos jours, un événement littéraire de portée mondiale est organisé à Conakry par L’Harmattan Guinée avec la bénédiction de l’Institut franco-guinéen (Franco-guinéen ? Les français savent ménager notre orgueil hein !). Le thème des 72 du Livre de Conakry de cette année était LA PUISSANCE FEMINIME. Je dis bien PUISSANCE FEMININE ! Signe que le féminisme, idéologie d’obédience occidentale a pris ses quartiers dans le pays de Sékou Touré grâce au Livre. Et comme si cela ne suffisait pas pour profaner la mémoire de celui que Ibrahima Baba Kaké a appelé dans son livre le héros et le tyran (Titre qu’il aurait emprunté à Senghor), le couple présidentiel du pays est formé d’un ancien légionnaire de l’armée française et d’une gendarme française devenue Première Dame. Quelle histoire ?
L’Occident passe par le Livre pour nous imposer ses idées.
Si la littérature est du domaine de l’universel, chaque peuple a normalement ‘’Son Livre’’, je veux dire, ses exigences en matière d’éthique et ses propres perceptions de l’esthétique dans la littérature. Quand les Occidentaux se mettent à primer nos livres, c’est parce que les thématiques abordées dans ces ouvrages ainsi que la vision qu’ils déclinent vont dans le sens de la propagation de leurs convictions idéologiques. Il arrive que l’environnement du livre leur convienne suffisamment pour qu’ils le mettent au panthéon des œuvres littéraires.
Une si longue lettre a permis d’attaquer la culture africaine par son substrat ‘’patriarcal’’ en jetant aux gémonies toutes nos valeurs sociétales qualifiées de tabous, de préjugés etc. Si ce livre, très bien écrit du reste, est traduit dans presque trente langues, distribué dans toutes les écoles africaines, exposé partout dans les bibliothèques avec une communication exceptionnelle, ce n’est pas pour rien. En fait, il constitue la première œuvre romanesque africaine qui, de façon touchante, jouant subtilement sur l’émotion du lecteur, décrit la femme sénégalaise (africaine) comme le souffre-douleur de sa société.
L’étude de ce livre, souvent livrée à partir d’analyses standardisées laisse dans le sel de notre mémoire (expression utilisée par Mariama Bâ) que la femme en Afrique est martyrisée et que l’homme est un être égoïste et narcissique. Ce livre, in sha Allah, j’aurai l’occasion d’en parler plus largement. D’un autre côté, notre compatriote Mbougar Sarr a été, aussi bien que Mariama Bâ, hautement distingué par l’Occident. Son livre, je ne l’ai pas lu. La plupart de ceux qui le rejettent ne l’ont pas lu. Pourquoi ? La question est importante.
En réalité, ce n’est pas le contenu du texte qui importe ici, mais l’arrière-pensée idéologique qui le sous-tend et l’accompagne. Cette publication était l’occasion d’une promotion patente de l’homosexualité. Cela n’a pas plu aux Africains parce du point de vue de l’éthique, ils ont senti leurs valeurs piétinées ou menacées.
Et me revient la phrase de Sékou Touré : « Si le blanc dit que je suis bon, c’est que je vous ai trahis. » Or, nous, on ne se croit bons que quand le tubaab nous décore. Oui. Nous croyons toujours que la vérité sonne ‘’blanche’’. Ce qui agaçait Cheikh Anta Diop.
Le problème est que nous ne faisons rien pour contrer la propagande occidentale qui passe par les arts dont la littérature. Nos états laissent l’espace littéraire aux agents occidentaux évoluant sur nos terres. Dans la première partie de cette lettre, je citais les soldats de la culture française qui sont bien là et qui compensent l’absence de l’armée française. Tout est une question d’occupation du terrain. On domine mieux par la plume que par le fusil. « Le canon contraint les corps, l’école fascine les âmes. » Dixit Cheikh Amidou Kane.
Est-ce que notre Direction du Livre et de la Promotion de la Lecture a les moyens qu’il faut pour se disputer l’espace littérale face aux avancées fulgurantes des instituts et ONG étrangères ?
Monsieur le Ministre, nous vous saurions gré d’agir dans ce sens.
Le 6 Septembre dernier, ‘’Le Soleil’’ notre quotidien national a publié un post sur Facebook (et certainement ailleurs) aux fins de lancer un appel à candidature pour l’accompagnement, la formation et la professionnalisation de jeunes écrivains sénégalais. Si notre journal national travaille pour la France, quid de nos livres ? Et puis, que propose l’institut français ? Encore une fois, une incubation pour du formatage en règle de l’esprit de notre jeunesse, sur notre territoire. Que faire ?
On voit bien qu’ils ne se limitent pas à l’accompagnement comme cela se fait jusqu’ici avec notre direction vu la modicité des moyens qui lui sont alloués. Ils s’appliquent à donner une orientation à l’écriture. Nos jeunes talents sont happés par l’appât du gain et le désir de notoriété, pour le bénéfice de la défense de certaines causes conformes à la vision occidentale du monde. Que faire ?
Monsieur le Ministre, la CONEES dont je suis membre (Secrétaire général), a consigné des propositions dans un document que vous recevrez in sha Allah. Je ne voudrais pas anticiper sur la chose. Quand même, je vous signale que la DLL n’a pas les moyens de sa politique. Ce qui se répercute sur toute la chaine du Livre. Les uns rament, les autres galèrent. Les agents de la culture occidentale nous étouffent et nous privent de souveraineté, même dans le domaine du Livre. Il y a à faire.
Monsieur le Ministre, permettez-moi d’exprimer ma pleine reconnaissance à votre endroit pour avoir lu ma lettre que d’autres pourraient estimer longue mais qui ne dérange pas votre aise, compte tenu d’une part de votre familiarité avec les textes, d’autre part de la passion que vous avez pour les sujets ci-dessus évoqués.
Mbegaan Koddu qui vous présente ses respects.
