
Partir. Le professeur GBÉGNONVI aurait pu ne pas s’en aller ce jour : « une minute avant sa mort, il était vivant ».
Mais là, sous mes yeux, l’insoutenable.
Je balayai du regard la concession. Le tour circulaire s’arrêta à la hauteur des marches d’escaliers. Je les considérai avec gravité; et me remontèrent à l’esprit, les images d’un de mes passages au domicile du professeur en 2017.
En pleine rééducation, après un accident domestique, je devrais gravir délicatement les marches, à ses côtés, appuyé sur une béquille et soutenu par ses mots de prudence.
La villa, un rez-de-chaussée d’une double décennie d’âge environ, était désormais
surmontée d’une bâtisse en bois, spécialement érigée pour abriter la bibliothèque du professeur.
À cette hauteur, au milieu des livres, des sièges extraits de massifs troncs d’arbres, entre le silence des masques de bronze et le parfum des mots, il y a comme le murmure des esprits.
C’est à cet endroit, chaque soir, après 19h, que le professeur faisait parler son génie.
Le génie de Roger, c’était sa plume.
Ce soir donc, quand il revint de chez Mme TALON, la tenancière du restau où il avait ses habitudes, pas loin de chez lui, ses livres, sa plume, son journal, sa bouteille de Béninoise et son verre l’attendaient.
…Et au petit matin, le lendemain, de l’intérieur des lieux, il n’y avait plus aucune main active pour éteindre les lampes. Pas l’ombre du professeur allant et venant dans la cour de la maison ; pas sa voix distincte au téléphone répondant à un copain.
Peut-être, était-il sorti tôt! Et avait-il oublié d’éteindre les lampes, pressé par les urgences inscrites dans son agenda!
Pourtant, toute la journée de ce 12 juillet 2023, les nombreux appels de son ami, médecin cardiologue, avec qui il avait un rendez-vous, pas médical _ il n’était souffrant de rien_ sonnèrent dans le vide.
Quand enfin, autour de 20h, l’aide-ménagère s’agrippa à la clôture pour inspecter du regard la cour, un homme était étendu sur la véranda, son téléphone à côté, un journal à même le sol, et les tessons éparpillés d’un verre…
Cathie, depuis longtemps, vit à Paris, en France; Larissa au Canada; Cédric en Allemagne.
Depuis l’obtention du baccalauréat, les deux derniers enfants étaient partis et maintenant, vivent et travaillent hors du pays.
En fonction à l’ambassade d’Allemagne au Bénin, Gaby, l’épouse de Roger, était partie, à son tour, quelques jours avant la survenance du triste événement, en congés; et avait voulu s’offrir quelques jours de vacances en Allemagne.
Sur le sol carrelé, un ruisseau rougeâtre avait fini de s’étaler. Le liquide, désormais coagulé, respire l’âme pure d’un homme de 77 ans qui, peu de temps avant, était encore debout et solide comme un roc.
À mon arrivée au domicile, le matin du 13 juillet, il n’y avait plus que ces derniers signes.
La police, avec le concours des corps compétents, avait déjà dessaisi les lieux de l’insoutenable image.
Les premiers éléments de l’enquête préliminaire diligentée par la police, sous la conduite du Procureur de la République de Ouidah, révélèrent l’absence d’une intervention extérieure. La thèse d’un assassinat fut écartée; et du moins, la famille, portée par le poids du deuil inattendu, ne jugea pas utile d’en rajouter par une longue et peut-être stérile procédure.
La thèse de l’accident domestique émerge; et presque, s’impose.
Le Professeur aurait-il fait une chute, un faux pas dans les escaliers, alors qu’il descendait de l’étage, les mains quelque peu surchargées ?
À droite, en descendant, l’architecture du bâtiment n’avait pas prévu de rampes d’escaliers.
Tant et si bien que si jamais, le pied vous flanchait, il n’y avait que le vide de la terrasse; et il y a même pire, un solide pilier carré qui relie la dalle à la terrasse.
Une imprudence, en occasionnant une chute, pourrait conduire à se cogner la tête contre le pilier, avant de choir.
Aurait-il, au lieu de cette hypothèse, fait un accident vasculo-cardiaque, ou un malaise vagal?
Au domicile du Professeur, le soir du 11 juillet, à l’heure où il était censé être rentré, aucune présence humaine pour d’éventuels premiers gestes de secours.
Le secteur, aux alentours, est presque un désert.
Mon ami s’en est allé.
Une minute avant sa mort, il était vivant.
Constantin AMOUSSOU
