L’écrivaine Marie NDiaye réinvestit la figure paternelle dans une prose kaléidoscopique intitulée « Le Bon Denis », intégrée à la collection « Traits et portraits » orchestrée par Colette Fellous au Mercure de France. Cette collection se caractérise par sa propension à accueillir des formes littéraires hybrides, où textes et illustrations s’entrelacent pour élaborer des autoportraits échappant aux conventions d’une introspection linéaire.

Ce n’est pas la première fois que Marie NDiaye prête sa plume à cette collection. En 2005, elle y livrait « Autoportrait en vert », un texte d’une étrangeté envoûtante où elle approchait la figure maternelle par des biais détournés, refusant la simplicité d’une autobiographie transparente. Son écriture, irriguée de fiction, trouve sa substance dans l’indéfini et l’énigmatique, terrains privilégiés d’une esthétique qui épouse la complexité de l’expérience humaine.

Avec « Le Bon Denis », Marie NDiaye s’attaque à une autre strate de sa mythologie personnelle : celle du père, dont l’absence depuis l’enfance a forgé une silhouette insaisissable, un spectre autour duquel l’auteure n’a cessé de graviter depuis ses débuts en 1985. Il ne s’agit point d’une quête de vérité, mais plutôt d’une exploration des virtualités littéraires que suscite cette figure évanescente. Fidèle à son esthétique de l’opacité, Marie NDiaye préfère étoffer l’énigme plutôt que de la dissiper, ouvrant ainsi un champ de résonances où l’écriture fait advenir l’absence comme présence.

L’ouvrage ne prétend ni combler un manque ni élucider une relation filiale restée lacunaire. Il s’apparente davantage à une méditation littéraire où l’étrangeté se perpétue en tant que substance créatrice. En cela, Marie NDiaye réaffirme sa démarche singulière : écrire non pour éclaircir, mais pour déployer l’énigme avec une subtilité qui frôle l’hermétisme. De même que « Trois femmes puissantes », qui lui valut le prix Goncourt en 2009, « Le Bon Denis » révèle une auteure qui refuse de se plier aux injonctions d’une narration linéaire, préférant une poétique de l’insaisissable.

Ainsi, Marie NDiaye érige l’évanescence en matériau littéraire. Son père, ombre éloignée et indéchiffrable, se voit désormais enchâssé dans une œuvre qui magnifie la suggestion et revendique l’obscurité comme principe de création. Loin de dissiper le flou, l’auteure l’épaissit, cultivant l’équivoque pour mieux élargir les frontières de l’imaginaire.

Photo : L’écrivaine Marie Ndiaye, à Paris, en janvier 2025. © FRANCESCA MANTOVANI/GALLIMARD