
suspendu entre l’angoisse de ce qui survient et de ce qui va arriver, un inconnu qui n’hésite pas à plonger les personnages dans un état second, souvent paranoïaque (Chien-loup).
Concernant la structure de ces nouvelles, elles poursuivent ce que la théorie littéraire appelle « la grille du fantastique » ou « la syntaxe narrative » qui comporte les six étapes devenues désormais classiques : l’introduction, l’avertissement, la transgression, l’aventure, la peur et la conclusion. Avec la fraîcheur de style que possèdent les textes de Gaëlle Bélem, ces histoires fantastiques s’enchaînent sans se répéter, sans redondance aucune, permettant même une lecture individuelle, comme des textes capables de vivre par eux-mêmes, de vraies histoires dont la particularité est celle de l’originalité. Les dialogues, comme d’ailleurs les soliloques, donnent au récit un esprit alerte, capable de rendre visible le dramatisme propre à ce genre littéraire. La conclusion, inattendue, énonciative, comme une délivrance, fait s’écouler l’intrigue dans son ruisseau qui se déverse dans le mystère qui entoure sa prose, comme l’océan qui borde son île mystérieuse. L’aiguille de la boussole indique le Sud Sauvage, direction contraire à l’ordinaire cardinal, paradoxe tant agrée par le surnaturel et l’allégorie qui font de ce monde un réel objet littéraire, un joyeux insulaire venu de loin pour raviver nos sens ou effrayer nos nuits.
La réussite de Gaëlle Bélem consiste en ce pari littéraire à la fois assumé et réussi d’extraire de sa terre natale les mystères qui hantent ses recoins, comme des perles rares capables de rendre lisible, vivant, un imaginaire que l’on croyait enfui et, qui en réalité, repose dans l’inconscient de chacun de ses habitants.
Sud Sauvage va au-delà d’un simple « inventaire des hantises du monde ou des hantises intérieures », pour reprendre ici la formule de Didier Philippot parlant de l’œuvre fantastique de Guy de Maupassant (Guy de Maupassant et l’affolant mystère de la vie. Essai sur l’œuvre fantastique, 2019).
Il devient, dès lors, la clé qui ouvre le passage aux fantômes qui réclament leur droit de franchir la frontière de l’imaginaire et de pouvoir peupler le réel, comme le font ceux de La Voie Sacrée (Shen lu), appelée aussi la Voie des Esprits des treize tombeaux de la dynastie Ming.
Décidément, ce chiffre treize des tombeaux impériaux, comme les treize nouvelles du présent recueil, nous fascine et nous intrigue en même temps !
Raison de plus pour les lire sans attendre.
Frissons garantis !
Dan Burcea
Gaëlle Bélem, Sud Sauvage, Éditions Gallimard, nouvelles, collection Continents noirs, 2025, 176 pages.