Mariama Ba « Un chant écarlate » 1981.

Mariama Ba, la romancière Sénégalaise reçut le Prix littéraire japonais , le Noma pour son premier livre  » Une si longue lettre » publié en 1979. Cette distinction propulsa son oeuvre sur la scène littéraire internationale.
Ce premier roman marqua le début de la visibilité des écrivains femmes africaines modernes, on nota chez l’auteure une volonté de prendre en charge la cause des femmes africaines.
Son second roman  » Un chant écarlate » est moins connu du grand public, il est publié en Novembre 1981 à titre posthume. Mariama Ba mourut trois mois avant sa parution.

Le titre originel du roman était  » le tertre abandonné » ce qui renvoie à un dicton de la sagesse populaire:  » Quand on abandonne son tertre, tout tertre où l’on se hisse croule. » Dans une interview, elle dira ceci  » Je démontre dans ce livre qu’on ne peut pas impunément se défaire de ce que l’on est du jour au lendemain ».

Cette démonstration éclatante donne un intérêt tout particulier à ce roman qui traite en filigrane des thèmes variés tels que l’amour, la condition féminine, le racisme, l’éducation . Cependant le problème du couple mixte demeure la charpente de l’intrigue. L’univers est résolument vu de l’extérieur, l’analyse situationnelle est menée de main de maître en plus des psychologies individuelles très fouillées.

La lecture du roman révèle deux milieux socio-culturels différents. Une différence de race, de culture et de condition sociale. Le milieu Européen et le milieu Africain.
Dès les premières pages, le narrateur plonge le lecteur dans l’espace africain, sénégalais :  » Usine Niari Talli » , le quartier populeux de Grand Dakar lui sert de cadre spatial pour narrer la vie d’une famille sénégalaise; celle de Djibril Guèye , le père de Ousmane Guèye, le personnage principal du roman.
C’est une famille de condition très modeste dans un environnement défavorable. Ils étaient des Guèye, fiers et dignes  » lébou pur , de ceux qui forgèrent la célébrité du Cap-Vert, de ceux qui domptèrent la mer pour conquérir la richesse, de ceux qui frayèrent avac les rab et les tour » P. 18
Ousmane vit un dilemme, un tiraillement interne, écartelé entre deux cultures.
Il est follement amoureux de Mireille, une jeune blanche née dans un milieu bourgeois. Les parents de Mireille, les De La Vallée, étaient mortifiés lorsqu’ils ont découvert l’idylle entre leur fille et un Noir. La jeune fille n’hésita pas à renier sa famille et sa religion pour retrouver Ousmane.
Ce dernier , après avoir longtemps caché son amour à sa mère Yaye Khady, finit par lui imposer son choix. Ils se marièrent et leur amour devint puissant grâce à l’élan et à l’enthousiasme caractérisant l’adolescence. La philosophie est une passion commune qui les rapproche davantage.
Le couple français, voisin de palier du jeune couple ne voit pas d’un bon oeil cette union. Guillaume se sent insulté par ce mariage, il leur flanque un sobriquet  » La Belle et la Bête ».
Après quelques mois de vie commune , le couple fit face à moult divergences. Ousmane vit un dilemme, un tiraillement interne, il est écartelé entre deux cultures. C’est le choc des cultures , il rumine :  » Comment métisser des valeurs au contenu et à l’expression différents, souvent opposés, même contradictoires qui jurent parfois les unes à cotés des autres? Mélange détonnant!  » P.225
Mireille, malgré son ouverture d’esprit , ne parvient pas à se retrouver; les coutumes sont très compliquées pour elle, son intimité toujours perturbée, envahie par les copains de son mari et surtout par sa belle-mère Yaye Khady.
Cette dernière appellait son petit- fils métis Gorgui  » niouloul xeesoul » ( ni noir ni blanc). Elle sera d’ailleurs à l’origine du premier choc entre son fils et sa bru.
Ousmane résiste un peu et craque; Il montre très vite les limites de son engagement à pratiquer l’ouverture. Il ne réalise pas objectivement l’emprise de l’éducation traditionnelle qu’il a reçue auprès de sa mère, une femme possessive et tyrannique. Enfin ,il subit l’influence de son entourage et tomba dans le piège savamment ourdi par Ouleymatou, belle et sensuelle. Il se convainc d’être un homme enraciné dans sa culture et qui a échappé à l’assimilation à la culture occidentale.
Il épousa ainsi en cachette Ouleymatou après une grossesse adultérine, les cliquetis des perles et l’odeur de l’encens ont eu raison de lui. Le jeune homme ne s’intéressa plus à Mireille et à son fils Gorgui qui lui rappelait  » son erreur » . Yaye Khady était aux anges, elle avait enfin une belle -fille qui la traitait en reine avec ses multiples térangas!
C’est la rupture ou l’échec de la synthèse culturelle. Cependant Ousmane n’a pas totalement conscience de sa trahison et de sa lâcheté , il mène une double vie entachée de mensonges. Dans son repli identitaire, il affirme qu’il est Africain et Musulman et qu’à ce titre, il avait droit à deux épouses.
Mireille découvre un jour la vérité en suivant son mari, elle est sous le choc en voyant Ouleymatou et Ousmane , heureux, portant sur l’épaule un bébé. Elle réalisa que Gorgui avait un petit frère noir.
Son fils à elle , métis est rejeté par les deux communautés. Elle craqua à son tour et se réfugia dans la démence. L’histoire d’amour vira à la tragédie, l’héroîne, hystérique, tua son fils et poignarda à plusieurs reprises son mari.
Le sang est versé, des blessures de Ousmane sourdait un chant profond, écarlate d’espérances dispersées. C’est un amour tragique au goût amer, un Eros meurtrier: les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs.

Mariama Ba semble donner raison au proverbe  » Ku waac sa and, and boo took mu toj »
Mireille a renoncé à son milieu bourgeois pour épouser un Noir de condition très modeste. La rupture est consommée, elle ne peut plus faire machine arrière.
A l’opposé , le mariage mixte de Lamine et de Pierrette est une réussite et montre que le métissage est possible si chacun consent à faire des concessions.
Après la lecture de ce roman, on se rend compte que Mariama Ba est restée l’éternelle féministe, la grande humaniste. Elle a enrichi le thème du couple mixte, déjà traité par d’autres écrivains tels que Sembène Ousmane dans  » O pays mon beau peuple » et Ouassanan Koné  » Aller Retour » , de toute sa sensibilité de femme africaine. Une prise de parole évoquant les peines et les souffrances de la femme dans la vie de couple. Elle ne se prive pas de critiquer la société africaine musulmane. Dans son refus d’ouverture, elle a une part de responsabilité dans le rendez -vous manqué du donner et du recevoir.

Bity Gaye Kebe,