Un panel sur le thème : «Sortir des sentiers battus : examen critique de l’œuvre de Cheikh Anta Diop» a été organisé hier, au Musée Théodore Monod d’art africain, pour rendre hommage à Cheikh Anta Diop, l’érudit dont l’impact sur la pensée africaine et mondiale perdure. Mais pour l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) et l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan), cette célébration va bien au-delà aussi d’un simple hommage à un homme dont l’héritage intellectuel a laissé une empreinte «indélébile» sur l’académie africaine, mais représente une opportunité pour revitaliser et rediriger la pensée critique et l’initiative sur tout le continent.
Le Musée Théodore Monod d’art africain de l’Ifan est plongé dans une effervescence intellectuelle depuis quelques jours. C’est un instant pharaonique pour le monde universitaire, qui célèbre le centenaire de Cheikh Anta Diop. L’Ifan a pris vie, mêlant histoire, culture et hommage vibrant à l’un des esprits les plus éminents du continent africain. Bien plus qu’une célébration, c’était une immersion totale dans la pensée et l’héritage d’un homme qui a défié les normes et a inspiré des générations entières. Un événement qui respire l’intellect, la créativité et l’esprit de Cheikh Anta Diop. Sous le thème «Cheikh Anta, cent ans après : les défis de la reconstruction d’une pensée audacieuse pour l’Afrique», la célébration du centenaire de Cheikh Anta Diop en 2023 revêt une importance cruciale pour l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan) et l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), a indiqué le Pr Mbaye Thiam qui animait le panel sur le thème : «Sortir des sentiers battus : examen critique de l’œuvre de Cheikh Anta Diop.» Du 21 au 29 décembre 2023, l’université Cheikh Anta Diop de Dakar et l’Ifan célèbrent un érudit sénégalais dont l’impact sur la pensée africaine et mondiale est sans égal. Une icône dont ses contributions dans les domaines de l’archéologie, de l’histoire et de l’anthropologie continuent d’influencer les générations actuelles et futures. « Mais si nous nous arrêtons à la célébration, à la commémoration, au pèlerinage et aux autres incantations, nous aurons trahi Cheikh Anta Diop», assure le Pr Mbaye Thiam, archiviste et enseignant-chercheur à la retraite.
Cependant, pour les organisateurs, cette célébration va bien au-delà d’un simple hommage à un homme dont l’héritage intellectuel a laissé une empreinte «indélébile» sur l’académie africaine, mais représente une opportunité pour «revitaliser et rediriger la pensée critique et l’initiative sur tout le continent». Pour eux, l’actualité de ce centenaire coïncide également avec une période cruciale pour l’Afrique, qui fait face à des défis de plus en plus complexes dans un monde globalisé. Et par l’organisation de ce panel marquant le centenaire de Cheikh Anta Diop, l’objectif a été de penser Cheikh Anta et penser avec Cheikh Anta Diop. Et il a réuni des intervenants issus de différents horizons disciplinaires qui ont pris la parole, partageant leurs perspectives sur l’héritage de Cheikh Anta Diop, porté un regard critique sur son œuvre, mais aussi de repenser les enjeux du monde à partir de son œuvre monumentale.
«Il faut aller vers la création des Etats-Unis d’Afrique»
Selon Aziz Salmone Fall, politologue et membre du Groupe de recherche et d’initiative pour la libération de l’Afrique (Grila) et du forum Tiers Monde, il faut éviter de fossiliser Cheikh Anta, de le momifier comme le font souvent certains dans ce pays. «Il faut donner ses enseignements, avoir une chaire qui porte son nom. Il faut que dans les différentes disciplines, qu’on voit comment son approche disciplinaire holistique a pu démontrer cet effort de reconstituer notre histoire pour aller vers une autre forme de civilisation beaucoup plus humaine, plus ouverte. Et surtout un Etat fédéral africain», a-t-il expliqué.
Cheikh Anta, a-t-il fait savoir, «est sorti des sentiers battus. Mais ses sentiers, ils ont été piétinés par toutes sortes de gens». Coordonnateur de la Campagne internationale justice pour Sankara, M. Fall estime qu’il faut continuer à aller vers la création des Etats-Unis d’Afrique, de quelque chose qui pourrait sortir de l’Afrique de l’intégration défavorable dans la mondialisation. Et cela suppose, ajoute-t-il, un autre type de science et d’enseignement supérieur. C’est la raison pour laquelle, a-t-il laissé entendre, «il faut commencer la recherche développement dès le jeune âge, enseigner dans nos langues nationales afin d’armer nos jeunes de science parce que c’est d’abord la connaissance qui nous permet de sortir de notre condition».
Quant au Dr Dialo Diop, membre fondateur du Rassemblement national démocratique (Rnd), un parti politique fondé par Cheikh Anta Diop en 1976, il est revenu sur la démarche multidisciplinaire de Cheikh Anta Diop, né en 1923 à Thieytou et décédé le 7 février 1986. Il rappelle que Cheikh Anta a consacré sa vie à la recherche, à la réflexion et à la promotion d’une histoire africaine authentique, sur l’unité culturelle de l’Afrique noire mais aussi de sa vision novatrice qui a remis en question de nombreux préjugés historiques. «Cheikh Anta c’était un homme hors du commun. Si vous voyez, il nous est insupportable qu’on refuse obstinément dans son terroir d’origine de mettre sa production scientifique et intellectuelle au service des jeunes générations africaines, c’est un crime contre l’Afrique», a-t-il asséné, tout en soulignant que toute l’œuvre de Cheikh Anta Diop est hors des sentiers battus de l’académisme et de la science de l’Occident. «On a qu’à d’abord enseigner nos propres pensées chez nous», a conclu Dr Dialo Diop, l’un des héritiers politiques du «Pharaon». Toutefois, il faut rappeler que la célébration du centenaire sera aussi ponctuée par des activités scientifiques et culturelles.
Ousmane SOW – LeQuotidien