Deux slameurs exceptionnels, Samira et Jëwrin, nous ouvrent les portes de leur univers poétique.
Originaires du Sénégal, ces artistes engagés et passionnés partagent leur expérience, leur vision du slam et son rôle en tant qu’outil culturel et de sensibilisation. De Pikine à Gannaar, des racines profondes à la créativité débordante, découvrez les réflexions profondes de Samira Fall et les convictions ardentes de Mouhamadou Bamba Mbaye, alias Jëwrin. Ensemble, ils nous invitent à explorer la puissance des mots et la magie du slam, soulignant son impact significatif dans la société sénégalaise et au-delà. Entre transmission de messages, sensibilisation sociale et autonomisation des jeunes, le slam devient ainsi une force incontestable, façonnant l’avenir culturel et artistique du Sénégal.

Samira Fall, artiste performeuse et écrivaine d’origine sénégalaise, nous emmène dans son périple artistique, depuis ses premiers pas sur la scène slam jusqu’à la création de soirées uniques, mêlant poésie, musique live, graffiti et peinture. Sa démarche engagée, nourrie par une observation minutieuse de la vie quotidienne, questionne l’inacceptable devenu banal, défiant le public à se poser des questions cruciales sur notre réalité collective.

Jëwrin, alias Mouhamadou Bamba Mbaye, nous transporte dans son expérience riche et variée, teintée par son engagement en tant que griot et défenseur des langues nationales, en particulier le wolof. Enraciné dans la culture et l’histoire de son pays, Jëwrin voit le slam comme un moyen de réveil-ler les consciences, d’enseigner et de transmettre les trésors de sa civilisation. Son rôle dans l’initiation de Dalal Slam et sa contribution à la scène slam sénégalaise font de lui une figure centrale de cette forme d’expression artistique.

Lorsque les deux slameurs évoquent leurs inspirations, c’est un voyage au cœur des préoccupations sociales qui se dessine. Samira, captivée par son environnement immédiat, nous invite à réfléchir sur la banalisation de l’inacceptable, tandis que Jëwrin, passionné par des thèmes de société tels que l’immigration irrégulière et l’exode rural, incarne le slam comme un moyen d’éveiller les consciences.

Le slam, au-delà d’une simple performance artistique, devient un outil culturel puissant au Sénégal. Pour Samira, la poésie, et par extension le slam, est une source d’éveil, un moyen d’impact sur les populations, et elle envisage même son utilisation comme outil éducatif dans les écoles. Jëwrin partage cette vision, plaidant pour l’appropriation du slam dans tous les coins et recoins du pays, devenant une discipline enseignée dans les écoles et les universités, contribuant ainsi à la préservation de l’héritage culturel sénégalais.

Au-delà de leur parcours individuel, Samira et Jëwrin convergent vers une conviction commune : le slam a un pouvoir transformateur. Il a le pouvoir de toucher les cœurs, de provoquer des questionnements, de sensibiliser et, en fin de compte, de changer des vies. Les moments marquants partagés par Samira, où ses textes ont résonné dans la réalité vécue d’autres personnes, et ceux de Jëwrin, lors de la consécration du Sénégal en champion d’Afrique de Slam, attestent de la portée et de la pertinence du slam dans la société contemporaine.

Enfin, les slameurs soulignent le rôle crucial du slam dans l’autonomisation des jeunes. Pour Samira, l’art, en général, est un levier de développement qui mérite une valorisation accrue. Jëwrin, avec son parcours personnel, témoigne du pouvoir du slam à ouvrir des portes, à développer des compétences, et à créer des opportunités pour la jeunesse.

Ainsi, à travers les voix envoûtantes de Samira et Jëwrin, le slam se révèle comme un écho vibrant des préoccupations et des aspirations du peuple sénégalais. Il transcende les frontières de l’art pour devenir un instrument puissant de changement social, un moyen d’enseignement, et surtout, une source infinie d’inspiration. C’est dans cette symphonie de mots et de rythmes que le slam s’érige en tant que patrimoine vivant du Sénégal, prêt à guider les générations futures vers de nouveaux horizons artistiques et sociaux.

Présentez-vous en quelques mots !

Samira : Je suis Samira Fall, artiste performeuse (slam, spoken word) et écrivaine d’origine sénégalaise.

Jëwrin : Je m’appelle Mouhamadou Bamba Mbaye, plus connu sous le sobriquet de Jëwrin. J’habite à Pikine et j’ai grandi à Gannaar (Mauritanie). Je fais partie des rapatriés de 1989 lors des problèmes entre le Sénégal et la Mauritanie. À cette période, j’étais un jeune écolier. Je fais partie d’une grande famille de griots qu’on appelle la famille Dogo. Je suis un griot et fervent défenseur des langues nationales, dont le wolof, sur lequel je fais beaucoup de recherches. Je suis d’ailleurs un traducteur de cette langue. Je suis également l’initiateur de Dalal Slam (qui réunit presque toutes les associations de slameurs du Sénégal). Je suis aussi membre de beaucoup d’autres associations.

Parlez-nous de votre expérience dans le monde du slam.

Samira : J’ai découvert, par le biais d’une émission télévisée, qu’il y avait un collectif de slam à Dakar, cela m’a séduite. Donc, c’est en 2014 que j’ai commencé à aller aux événements du vendredi slam pour déclamer mes poèmes d’abord, vu que j’écrivais de la poésie depuis mes 13 ans. Ensuite, j’ai fréquenté plusieurs clubs de slam, dont le Krefour Poetik, où l’on pouvait performer lors d’ateliers et de cyphers. Par la suite, j’ai commencé à participer à bon nombre de festivals à Dakar et dans les régions, à des spectacles et des résidences de création. Je sors mon premier recueil de poèmes « Oxymoriques » en 2017, puis je bénéficie de la bourse de création à domicile d’Africalia « Creativity is life », qui m’aide à sortir mon projet I.N.T.R.O en 2020 sous format E.P mais aussi en podcasts. Depuis lors, je travaille sur la sortie de mon premier album. Entre-temps, j’ai initié les soirées «SMS» (Slam, Music and Spokenword) pour jouer en liveband mes morceaux pour me permettre de mieux les retravailler, mais aussi proposer une scène unique représentative de mon univers artistique éclectique. De ce fait, avec mes amis et mes proches collaborateurs, on a pu travailler sur de nouvelles scénographies et installations artistiques mêlant la poésie au graffiti et à la peinture. J’ai été récipiendaire du prix Yakaar à Rufisque d’Optimiste Produktions en 2019. J’ai pu participer à de nombreux événements dans la sous-région, mais aussi en Europe.

Jëwrin : J’ai une expérience très riche sur le Slam, car il m’a permis d’être plus éveillé en entamant beaucoup de recherches dans ma culture et ma civilisation. L’autre chose, c’est que le Slam m’a aussi permis de développer beaucoup de capacités sur la prise de parole en public, jusqu’à aujourd’hui devenir un coach. C’est grâce à cette expérience que j’ai eu à travailler avec DGASE, GUZ et d’autres grandes organisations ici au Sénégal, comme Give On Project. J’ai même eu à travailler avec Akon sur son projet Akon Lighting. En bref, grâce au Slam, j’ai eu une expérience très riche.

Quels sujets vous inspirent le plus pour vos slams ?

Samira : Je m’inspire de ce qui m’entoure, mon environnement immédiat. Je photographie les scènes de la vie de tous les jours et je les questionne dans mes textes. Je voudrais, à la sortie de l’écoute de mes morceaux, que les gens se posent des questions. Pourquoi l’inacceptable est aujourd’hui banalisé? Comment en sommes-nous arrivés à ce décor? Avons-nous baissé les bras d’une certaine manière? En tout cas, beaucoup de questions que je me pose d’abord avant de les versifier pour les poser au public. Peut-être que lui trouvera un jour la réponse.

Jëwrin : Je m’intéresse surtout à des thèmes de société, à l’immigration irrégulière, à l’exode rural, à la culture, à l’homme en général avec un grand H…

Quelle est votre vision du slam en tant qu’outil culturel au Sénégal ?

Samira : Au-delà du slam, je pense que la poésie est un moyen aujourd’hui d’impacter les populations. Il peut être aussi un outil éducatif dans les écoles. Il est source d’éveil, mais contribue également à faire rêver et développer l’imaginaire. Souvent, à mes élèves, je leur pose la question suivante : Si vous pouviez changer quelque chose actuellement dans le monde, que serait-ce ? Ensuite, avec les réponses, on construit des textes. Je leur montre qu’il est possible de changer le monde avec les mots, car leurs voix peuvent avoir un impact sur les oreilles qui les écoutent d’abord.

Jëwrin : Ma vision pour le Slam est claire et nette, comme j’ai l’habitude de le dire, c’est-à-dire faire en sorte que tous les coins et recoins du Sénégal s’approprient le Slam. Faire en sorte que le Slam soit enseigné dans les écoles, dans les universités. Car tout notre héritage culturel, notre histoire, nos langues peuvent être enseignés par la magie de cette poésie déclamée.


Avez-vous un moment marquant où le slam a eu un impact significatif ?

Samira : J’en ai beaucoup. Souvent, je reçois des témoignages poignants de personnes qui me disent avoir vécu un de mes textes. Une fois, une fille m’avait parlé de son excision. Cela m’avait énormément bouleversé. Il y a aussi des jeunes filles dans les écoles que je rencontre généralement lors des ateliers. Une fois, l’une d’entre elles est venue me faire un câlin et m’a dit merci. Je me suis sentie utile et je me suis dit que ce que je faisais en valait la peine.

Jëwrin : Le jour qui m’a le plus marqué dans ma carrière de slameur, c’est le jour où le Sénégal est devenu champion d’Afrique de Slam lors de la première édition de la coupe d’Afrique de Slam. Ce jour m’a beaucoup marqué parce qu’au début, nous n’étions pas nombreux, et on galérait beaucoup parce qu’on voulait le développement du slam au Sénégal. C’est pourquoi, lorsque le Sénégal est devenu champion d’Afrique, je ne pouvais plus garder ma joie. Ce jour-là, j’étais avec d’autres slameurs, on était dans un concert de Slam et lorsque la nouvelle est tombée, on a transformé la prestation en une fête, tout le monde jubilait. Cela a confirmé d’ailleurs ce que je défendais toujours, à savoir que le Slam a une origine sénégalaise, car ce que nous appelons le taasu, le taaxuraan, le pekaan et d’autres formes d’art oratoire peuvent être comparés à ce que nous appelons Slam aujourd’hui.

Comment pensez-vous que le slam peut aider à l’autonomisation des jeunes ?

Samira : Je pense que l’art en général est un bon outil pour toute personne qui cherche sa voie. Il est un levier de développement. Il doit être plus valorisé dans notre pays, et les différents acteurs, au-delà de l’accompagnement dont ils devraient bénéficier, doivent être plus respectés.


Jëwrin : Par rapport à l’impact du Slam chez les jeunes, je vais prendre mon exemple, car je suis entré dans le Slam étant jeune alors que je n’ai pas fait d’études poussées. Mais grâce au Slam, j’ai pu développer mes capacités en langue nationale et grâce à cette langue, je suis parvenu à me frayer un chemin. Cela m’a permis de travailler avec de nombreuses autorités. C’est grâce à cela que beaucoup d’autorités m’estiment et me réservent des accueils incroyables une fois que j’aille dans leur région pour une prestation (des maires, des gouverneurs, etc.).

Quel rôle joue le slam dans la transmission de messages et la sensibilisation des gens sur des questions sociales ?

Samira : Un rôle crucial. C’est le pouvoir des mots nus. De plus en plus, il est accompagné de musique, mais le message reste toujours au centre. J’ai eu à travailler avec beaucoup d’institutions et d’organisations non gouvernementales pour des plaidoyers, des hymnes, des textes pour des campagnes de sensibilisation, entre autres. La cible est toujours réceptive au message.

Jëwrin : Pour la sensibilisation des gens et la transmission de message, je peux dire que le Slam y joue un grand rôle. Le Slam est devenu aujourd’hui le meilleur moyen de transmettre des messages, car c’est un art oratoire qui se déclame de manière rythmique et bien articulée. Ainsi, cette originalité permet à beaucoup de slameurs d’impacter par le punch et la technique de leur déclamation. C’est pourquoi les campagnes de sensibilisation s’intéressent de plus en plus au slam. Même dans les plus grandes cérémonies de l’université maintenant, on invite les slameurs pour qu’ils déclament sur des thèmes d’éducation, de langue, de formation, etc. Il y a même des sociétés qui s’approchent des collectifs de slameurs pour d’éventuelles publicités. Cela montre aujourd’hui la portée du Slam sur la sensibilisation et la transmission du message.