Une décennie s’est écoulée depuis « Americanah« , fresque polyphonique et incandescente qui consacra, aux yeux du monde, Chimamanda Ngozi Adichie comme l’une des voix majeures de la littérature contemporaine. En ce début d’année littéraire, l’écrivaine nigériane opère un retour fulgurant avec « L’inventaire des rêves« , roman d’une ampleur rare, somptueusement écrit, où se conjuguent l’acuité du regard, la douceur des nuances et l’irrévérence du ton.

Adichie, en esthète du récit et stratège de l’émotion, y tisse un entrelacs de destinées fragmentées, de désirs tus et de douleurs assumées. Le texte, à la fois grave et facétieux, explore les interstices du quotidien avec une profondeur qui confine au vertige. Elle y mêle, avec une aisance confondante, l’analyse sociale la plus fine aux pulsations du cœur humain, faisant de chaque page une méditation mouvante sur l’exil, le souvenir, l’amour et les fêlures de l’intime.


Née en 1977 dans la ville universitaire de Nsukka, au Nigeria, Chimamanda Ngozi Adichie fut très tôt baignée dans les effluves conjugués de la connaissance et de la narration. À dix-neuf ans, elle traverse l’Atlantique pour rejoindre les États-Unis, où elle s’initie à la science politique, à la communication, puis à l’écriture créative à Johns-Hopkins, avant d’approfondir les études africaines à Yale. Ce parcours, marqué par le dialogue entre héritage africain et pensée occidentale, irrigue toute son œuvre, dont la richesse tient à ce constant balancement entre les rives.

Son écriture s’inscrit dans un cosmopolitisme lucide, qui ne sacrifie jamais l’ancrage local à la tentation universelle, mais qui parvient à faire vibrer ensemble les voix du Sud et les silences du Nord. Résidant entre Lagos et Washington, Adichie incarne cette figure rare de l’intellectuelle engagée, à la fois conteuse subtile et penseuse du contemporain.


Distinguée dès son premier roman « L’Hibiscus pourpre » (2003), saluée pour « L’autre moitié du soleil » (2006), consacrée avec « Americanah » (2013), Adichie a su imposer un style inimitable, où la langue se fait chair, onde et révolte. Son engagement féministe, puissamment articulé dans des essais brefs et percutants – « Nous sommes tous des féministes », « Chère Ijeawele«  – témoigne d’une volonté de penser l’émancipation à hauteur de vie, en conjuguant l’intime et le politique. Avec Notes sur le chagrin (2021), elle livrait un texte d’une bouleversante sobriété, où l’amour filial se heurte à l’irréductible de la mort.

L’inventaire des rêves prolonge cette ambition d’une littérature totale, c’est-à-dire capable de dire le monde sans jamais renoncer à l’énigme du cœur humain. C’est un roman qui amuse autant qu’il bouleverse, un texte-chatoyance, tour à tour tendre, féroce et mélancolique, où chaque personnage devient le miroir fragmenté de nos propres quêtes.

En un mot : un chef-d’œuvre.