Figure incontournable de la littérature contemporaine africaine, Djaïli Amadou Amal s’illustre par une œuvre puissante et engagée, où se mêlent lucidité, résilience et quête de justice. Lauréate du prestigieux Prix Goncourt des Lycéens en 2020 pour “Les Impatientes”, l’écrivaine camerounaise transcende les frontières littéraires pour porter haut les récits trop souvent tus des femmes confrontées aux carcans des traditions patriarcales et des injonctions sociétales. À travers cette interview exclusive, elle revient sur les racines profondes de son engagement, la manière dont son vécu personnel façonne son écriture, et les défis multiformes auxquels sont confrontées les femmes de lettres en Afrique. Avec une sensibilité rare, Djaïli Amadou Amal adresse également un message empreint de gratitude et d’espoir à ses admirateurs sénégalais, témoignant une fois encore de l’universalité de ses combats littéraires et humains.  

Propos recueillis par Babacar Korjo Ndiaye

1. Quelles motivations profondes vous ont poussée à écrire sur les conditions de vie des femmes en Afrique ?

Très tôt, à l’âge de 8 ans, j’ai eu à tout hasard une rencontre marquante avec le livre. Un roman jeunesse qui parle d’une forêt enchantée en Irlande, d’elfes, de fées, et dont malheureusement je n’ai plus souvenance du titre. Un monde enchanté, je dirais magique, que je n’ai jamais voulu quitter. Ma passion pour la lecture naît de ce livre.

Victime d’un mariage forcé à l’âge de 17 ans, j’ai trouvé à travers le livre un exutoire. Dans le sillage de la passion pour la lecture, j’ai toujours écrit, dessiné. Mais l’expression littéraire s’est installée avec la prise de conscience des réalités sociales de ma propre société. À travers les livres, j’avais compris que ce qui se passait dans ma société en termes de condition de la femme n’était pas normal. Mon engagement littéraire découle de cette prise de conscience.

2. Dans quelle mesure votre expérience personnelle a-t-elle nourri et influencé vos œuvres littéraires ?

Il va sans dire que mon expérience personnelle a nourri et influencé mes œuvres littéraires. Si elles sont des œuvres de fiction, elles s’inspirent de faits réels, des vécus directs et indirects au sein de ma société du Nord-Cameroun en particulier, ou plus généralement celle du Sahel dont je fais partie.

3. Quel message souhaitez-vous transmettre à travers vos romans ?

D’abord comme je l’ai dit, la condition de la femme est au cœur de mes trames romanesques. Les maux, du moins en termes de la condition de la femme, qui minent ma société, nos sociétés, sont les produits des amalgames ou encore des effets néfastes de certains aspects de nos traditions. Eh bien pour ce qui est des traditions, je veux être claire ici et définitive : Aucune tradition ne tienne dès lors qu’elle fait souffrir et aliène et détruit quelque composante de la communauté qu’elle caractérise. L’humanité et les droits de l’humanité sont universels et reposent sur des valeurs humaines qui sont elles aussi évidemment universelles. Aucune tradition ne peut se prévaloir au-dessus de ces valeurs. Et d’ailleurs, le temps qu’on y est. Comprenons que nos traditions nous viennent de nos ancêtres. Elles ont évolué, génération après génération, pour parvenir à nous sous la forme que nous constatons de nos jours. Celles qui étaient adaptées il y a des siècles, ne le sont forcément pas aujourd’hui. Chaque génération, chaque communauté, dans un souci de progrès et d’épanouissement collectif des siens, a pour mission de faire évoluer positivement ses propres traditions afin de les adapter à son époque. Une communauté qui ne sait pas faire évoluer positivement ses traditions est condamnée à sa propre déchéance. Et cette évolution ne sera possible que grâce à des personnes éclairées éprises des convictions humanistes profondes, de la vérité que l’humanité, indépendamment de genre ou de couleur, est unique et jouit absolument des mêmes droits.

4. Quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels font face les femmes écrivaines en Afrique aujourd’hui ?

Au-delà de ceux liés aux questions structurelles encore cruciales dans nos sociétés, des questions qui ne sont finalement pas spécifiques à quelque genre que ce soit, les défis que connaissent les femmes écrivaines en Afrique sont évidemment les mêmes que ceux auxquels font face les femmes dans tous les métiers qu’elles exercent. Elles doivent en faire plus pour espérer obtenir le mérite qui leur revient.

5. Enfin, quel message aimeriez-vous adresser à vos admirateurs sénégalais, qui suivent avec enthousiasme votre travail ?

Permettez que j’adresse tout d’abord mes amitiés fraternelles au peuple sénégalais. J’ai eu à plusieurs reprises à effectuer les visites littéraires au Sénégal. L’accueil que j’ai reçu à chaque fois a été remarquable. Sur le plan littéraire, comme d’ailleurs dans bien des domaines, le Sénégal a beaucoup apporté au continent africain. Mariama Bâ a grandement inspiré mon engagement littéraire. Je me revendique de son héritage littéraire.

Oui, je compte beaucoup d’admirateurs au Sénégal qui me suivent. Leurs messages d’encouragement sont nombreux et me parviennent régulièrement. Je leur exprime ma gratitude.