
Depuis sa création en 2011, le Salon International du Livre de Thiès (SILT) s’est imposé comme un rendez-vous incontournable du paysage littéraire sénégalais. Porté par la vision et la détermination de Moustapha Ndéné Ndiaye, ce salon a su défier les pronostics en s’enracinant durablement dans une ville historiquement peu associée à la littérature. Après six éditions et en prélude à la septième, il nous livre un bilan riche d’enseignements, évoquant les défis, les ambitions et l’impact croissant de cet événement sur la scène culturelle nationale et africaine.
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Le Salon International du Livre de Thiès (SILT) est aujourd’hui un rendez-vous littéraire incontournable. Pouvez-vous nous raconter comment est née cette initiative et quelles étaient vos ambitions initiales ?
Je dois bien avouer que le salon du livre de Thiès est une petite idée d’un écrivain éditeur qui a fait fortune. En 2011, quand je me lançais dans cette aventure, je pouvais me permettre de douter de sa pérennité et de son développement que l’on connait aujourd’hui mais aussi et surtout des perspectives que cette organisation se dégage. L’idée était pour notre maison d’édition d’accompagner les publications et de leurs séances de promotion d’une grande rencontre autour du livre à Thiès. Cette idée pouvait faire rire dans une cité ouvrière comme Thiès. A cette époque, à vrai dire, seul Saint Louis, ville de tradition intellectuelle, avait sa fête internationale du livre qui venait de marquer trois éditions avant de faire long feu. Pour dire que toutes les grandes activités littéraires comme une foire ou un salon étaient concentrées à Dakar. Au vrai, je me suis un peu inspiré du modèle de la FILDAK pour faire quelque chose à la dimension de la ville qui n’était pas très livre, si elle ne l’est d’ailleurs restée.
Malgré tout, Thiès avait de grands atouts. Sa proximité de Dakar qui lui permettrait de bénéficier du même public mais aussi la ville était en passe de devenir un grand pôle scolaire et universitaire. Et de toute façon, c’était la deuxième grande ville de notre pays et qui a une grande histoire dominée par le plus ancien patrimoine industriel du Sénégal, les ateliers du chemin de fer et ce bruit des trains qui a bercé notre enfance, une identité très forte mais aussi de grands personnages comme Mbaye Gana Kébé qui nous avait fait l’honneur d’être le parrain de la première édition avant sa disparition deux années plus tard. Et Senghor a été le premier maire de la ville, sa terre d’élection, tout de même. Bien à propos, nous organisons l’exposition du salon à la place que surplombe son ancien bureau, pour l’anecdote rapportée par le charismatique Baye Gana Kébé lui-même. J’ai eu à développer avec ce grand nouvelliste et poète des relations personnelles bâties sur la générosité et l’estime réciproque. Je n’en dirais pas plus. Mais je ne pourrais jamais et nulle part parler du salon du livre de Thiès sans évoquer l’apport de l’écrivaine Fama Diagne Séne, Grand Prix du chef de l’Etat pour les Lettres en 1997, qui, dès la première réunion, est venue m’accompagner dans cette aventure. Hier encore, elle me renouvelait son amitié et moi ma reconnaissance, des valeurs qui transcendent tout. Dans ce sillage, il n’y a pas un seul écrivain ou acteur de la ville à qui ne je n’ai tendu la main dans une construction commune. Mais un salon du livre, c’est plus que cela : c’est de l’organisation, de la méthode, de l’ouverture et la recherche de compétences partout où on peut les trouver mais aussi et surtout des partenaires financiers, stratégiques, etc.
Après six éditions, quel bilan tirez-vous de l’impact du SILT sur la ville de Thiès et sur la scène littéraire sénégalaise ? Avez-vous constaté une évolution dans l’intérêt du public pour le livre et la lecture ?
Après six éditions alors qu’on s’apprête à tenir la 7e, je suis convaincu que le SILT est devenu une réalité sur la scène littéraire sénégalaise et bientôt africaine. La venue annoncée de monsieur Ange Felix Ndakpri du SILA et de l’APNET est révélatrice. Les populations ciblées se sont approprié l’évènement si bien que notre escapade à Saly en 2023 a été un peu mal vécue par nos sympathisants. Et le maire de la ville, Babacar Diop, qui est, par ailleurs, un grand intellectuel et écrivain, convient avec moi que la place du SILT est bien à Thiès, sans compter d’autres élus comme le maire de la commune de Thiès Est, Ousmane Diagne, qui ont décidé d’accompagner financièrement et matériellement le SILT dans le bel et noble esprit que notre chère ville a de quoi se montrer au monde. Ce n’est pas par hasard que cette édition a été lancée le 8 février dans les locaux de l’Hôtel de ville en présence du maire et de presque toute l’équipe du Salon notamment la Présidente du Comité scientifique Madame Andrée Marie, Annie Coly, des messieurs Khalifa Touré et Abibou Coly qui représentait le Directeur du Livre et de la Lecture monsieur Ibrahima Lo empêché, tout comme notre parrain de cette édition, le recteur et historien Ibrahima Thioub.
Le salon, c‘est toute cette population scolaire jeune qui est mobilisée par le canal de l’inspection d’Académie de Thiès et les chefs d’établissements de la ville particulièrement ceux qui sont dans notre comité d’organisation. En effet, ce comité regorge aussi d’enseignants comme Madame Marie Noëlle Youm, de Monsieur Sagueye Seck qui ont compris qu’un salon participe pleinement aux besoins pédagogiques des élèves. Le SILT, c’est toujours tous ces acteurs de tout premier plan que sont les écrivains, les éditeurs, les libraires et amoureux du livre qui le fréquentent et n’hésitent à faire des kilomètres d’une ville à l’autre pour venir partager nos animations, découvrir les nouveautés des éditeurs mais aussi et surtout se retrouver entre acteurs dans la chaleur et la conscience d’une communauté qui espère, réfléchit, crée et partage ensemble dans la grande convivialité. C’est cela toute la dimension humaine de l’évènement et sans laquelle aucun acte ne mérite d’être posé.
L’organisation me pousse avoir de la gratitude vis-à-vis de certains acteurs du monde littéraire même si on peut avoir parfois quelques ressentiments, des doutes. Mais je préfère plutôt se focaliser les grands gestes de générosité posés par certaines personnalités comme Boubacar Boris Diop, Ken Bugul avec qui je ne cesse d’échanger sur certaines orientations eu égard au fait qu’elles ont engagé toute leur notoriété pour le salon en acceptant d’être parrain et marraine mais aussi des vigies de l’évènement. Cela vous rassure dans un monde où tout n’est pas simple. Et que dire Madame Andrée Marie Diagne qui ne nous ménage ni son temps, ni son expertise avec une passion et une générosité qui vous fait encore espérer de l’humain. Je dirais de même d’Annie Coly qui a été la toute première à animer ce salon en 2011. Comme quoi les choses qui passent, elles durent, pour paraphraser le valeureux toubab Jean d’Ormesson.
Mais le Silt, qui n’a jamais pu bénéficier de l’appui municipal jusqu’à cette année où on attend beaucoup de la Ville, c’est la contribution vitale du ministère de tutelle. L’essentiel des millions qui ont jusque-là rendu possible l’évènement est le fait de l’Etat central par le canal de la Direction du livre et de la Lecture Publique où j’ai toujours trouvé appui et encouragements mais aussi savoir-faire. Que l’institution et son bras technique, dirigée par Monsieur Ibrahima Lo, en soient sincèrement remerciés.
Pour mettre le salon dans les bons standards, il a fallu rompre avec cette démarche qui faisait que Nous participions à la prise en charge des éditeurs, grevant du coup notre budget déjà limité. Comme cela se fait ailleurs, la FILDAK ou toute autre rencontre du genre, l’organisation ne s’occupe plus de la prise en charge des éditeurs. Il y a déjà les autres invités, des intervenants et les équipes qui résident hors de Thiès à prendre en charge. D’ailleurs, avec un très bon esprit, la plupart des éditeurs l’ont compris ainsi et n’ont pas hésité à venir cette année encore. Par ailleurs, il y a le fait que de nombreuses nouvelles maisons viendront exposer et rencontrer le public.
Cette 7ᵉ édition met l’accent sur « l’écriture mémorielle et la réconciliation ». Pourquoi ce choix de thématique et en quoi pensez-vous que la littérature peut jouer un rôle dans la transmission de la mémoire et le dialogue social ?
Cette année, le choix porté sur le professeur Ibrahima Thioub fait largement écho au thème, lequel thème ne détonne pas d’une certaine actualité africaine. Le sujet se veut à la fois véridique et réconciliateur. Nous ne bâtissons pas des murs entre les peuples mais nous érigeons des ponts dans la pleine conscience de notre dignité et liberté. C’est le but de la littérature aussi. Nous ne jetons rien des matériaux de l’Histoire mais tout est à refonder où à réécrire…
A vrai dire, nous ne nous enfermons sur aucune thématique particulière touchant des questions de fond ou formelles et fond-formelles. La souplesse et l’élasticité de ce point de vue ont leurs vertus. Parlerait-on demain peut-être des nouvelles écritures ou tout simplement de nos langues nationales ? Notre comité scientifique, qui s’est enrichi cette année du critique littéraire Khalifa Touré, de l’écrivaine Fatimata Ba Diallo et le professeur Mohamed Sow Baudelaire, très au fait de ce qui est tendance ou pas en littérature, en décidera si Dieu le veut.
Aussi, c’est la bonne occasion de rendre hommage à ces grandes personnalités qui ont eu accepté d’être les parrains ou les marraines de ce salon. De Baye Gana Kébé au Pr Ibrahima Thioub passant par Ken Bugul, Andrée Marie Diagne et Boubacar Boris Diop, nos choix n’ont jamais été gratuits. Ils traduisent l’esprit que ce salon tient à s’associer à des grandes œuvres intellectuelles reconnues et très inspirantes, à des trajectoires admirables que nous nous faisons la fierté d’honorer s’il en est encore besoin.
Organiser un salon international du livre en dehors de Dakar peut représenter un défi logistique et financier. Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées et comment parvenez-vous à pérenniser cet événement ?
Ils sont ceux de tous les grands évènements du genre. Il faut bien avouer que malgré notre bonne volonté et les maigres ressources que nous parvenons à obtenir, le SILT peine à se hisser à la hauteur de ses ambitions : être une grande plateforme et vitrine littéraire en Afrique, pour le Sénégal et pour la ville de Thiès qui a tous les atouts. Pour cela, il faudra beaucoup travailler à améliorer son attractivité. Et madame la Ministre des Sports, de la Jeunesse et de la Culture est d’accord avec moi pour qu’on réfléchisse ensemble pour rendre plus adéquats le mode de financement et la gouvernance. Cela nous conforte à l’idée que les autorités de ce pays ont bien pris conscience qu’il faut territorialiser davantage les politiques publiques dans notre secteur. C’est l’occasion de s’en féliciter et de se réjouir de la tenue prochaine du Forum national sur le livre commandé par le Chef de l’Etat lui-même. C’est un signe évident de l’intérêt certain porté à notre secteur. Tout autant, je suis très heureux d’avoir été associé à la rédaction de l’Avant-projet de Loi sur le Livre au Sénégal qui est en gestation et qui sera certainement une pierre angulaire dans la politique du secteur. Je peux, par ailleurs, souligner qu’il y a des avancées avec la mise en œuvre du droit de reproduction par reprographie par la SODAV et dont j’ai eu à diriger la commission qui a élaboré l’arrêté, signé par le Ministre de la culture de l’époque. J’ai eu l’occasion de présenter devant des pairs africains lors de la 2e conférence du réseau continental des éditeurs, l’APNET, à Harare, l’originalité de la démarche sénégalaise en la matière. Et enfin, il y a la question de la copie privée qui devrait bénéficier aussi aux écrivains et aux éditeurs, sous réserve bien sûr des ajustements législatifs, conformément à a directive de la CEDEAO. A ce dispositif législatif, il faudra bien sûr d’autres moyens comme la Bibliothèque Nationale annoncée, la Maison des Archives etc. Il faudra bien sûr des moyens financiers, matériels et humains importants. Le SILT entend jouer sa partition dans ce nouvel élan.
Revenant au sujet du SILT, il nous faut parvenir à accrocher de grands sponsors tout en stabilisant les contributions institutionnelles. Il est vrai que la littérature, elle-même en Afrique, est moins mobilisatrice mais je reste convaincu que cet évènement a du potentiel. Mon idée toute simple est que chaque édition réalisée et bien analysée nous rapproche du meilleur. Qu’on puisse faire un salon avec deux cents ou trois cents millions de budget, voilà l’objectif. Nous n’aurons que ce la chance nous donne mais les industries culturelles créatives signifient bien quelque chose en Afrique. Nous avons nos chances, il faut aller les saisir.
En parallèle du SILT, vous avez fondé la maison d’édition Fama. Quel regard portez-vous sur l’édition au Sénégal aujourd’hui et comment votre maison contribue-t-elle à mettre en lumière les talents littéraires, notamment ceux de Thiès ?
Fama éditions est une maison entreprenante, bien qu’elle rencontre des défis financiers pour réaliser pleinement ses ambitions. Nous avons investi dans une librairie à Thiès, mais nous avons dû mettre en pause notre projet d’imprimerie. Néanmoins, nous sommes fiers de publier des auteurs confirmés comme Louis Camara, Fama Diagne Sène et Seydi Sow, aux côtés de jeunes talents comme Dado Touré.
L’édition sénégalaise est en pleine ébullition avec l’émergence de nouvelles maisons portées par des jeunes. C’est un signe encourageant, qui doit être accompagné par une structuration et des réformes adaptées. Avec une meilleure organisation, le secteur pourra atteindre son plein potentiel et répondre aux aspirations des auteurs et des lecteurs.
Propos recueillis par Babacar Korjo Ndiaye