l’auteure Maimouna Eliane Thior nous éclaire sur les motivations derrière son recueil de nouvelles “Revendications silencieuses”. Puisant dans son vécu et celui de son entourage, elle explore les thèmes délicats de l’islam, de la polygamie, du mariage et du retour au Sénégal après des études en France. Elle aborde également le rôle du féminisme dans le contexte socio-culturel du Sénégal et comment il peut contribuer à réformer les valeurs locales, tout en redéfinissant le statut de la femme. Laissez-vous emporter par sa vision engagée et résolument moderne.

Propos recueillis par Babacar Korjo Ndiaye

Qu’est-ce qui a motivé votre décision d’écrire « Revendications silencieuses » et de créer le personnage d’Amy Ndiaye ?

Ce livre est le fruit d’un cheminement personnel et collectif, c’est-à-dire un condensé de mon vécu et de celui de quelques personnes de mon entourage vivant en France. Il présente une vision simple du statut de femme, imprégnée des valeurs d’une éducation sénégalaise, tout en vivant à l’étranger.

Pouvez-vous nous expliquer comment les thèmes de l’islam, de la polygamie, du mariage et du retour au Sénégal après des études en France sont traités dans votre livre ?

Ces thèmes sont présents dans la vie d’une bonne partie des femmes en raison des réalités socio-religieuses du Sénégal, même pour celles en situation d’immigration ou de retour d’immigration. Le statut matrimonial occupe une place importante dans leur vie, car il est régi par la religion. Ainsi, l’Islam intervient dans tous les aspects de leur vie. Même après avoir vécu ailleurs et vu d’autres modes de sociétés, les femmes issues de l’immigration ne sont pas exemptées de ces réalités.

Quel est leur impact sur la vie des femmes dans le contexte socio-culturel du Sénégal ?

Ces thèmes ont de multiples impacts. Malgré un éveil de conscience et l’ère de la mondialisation, les femmes restent enfermées dans des carcans traditionnels. Elles ont du mal à accéder à des postes dits masculins, à s’affranchir des protocoles des belles-familles où elles sont parfois dans un cycle de performance pour être vues comme une “bonne épouse” ou “bonne belle-fille”, ou à s’impliquer en politique sans allié (époux ou parent).

Comment avez-vous abordé la diversité des perspectives et des objectifs à travers le personnage d’Amy Ndiaye ?

Les objectifs de vie du personnage Amy Ndiaye reflètent la volonté de toutes les jeunes femmes de cette époque : ne pas subir le dictat d’une société essentiellement patriarcale qui les confine à une culture de sobriété, de simplicité pour se consacrer aux activités domestiques ou de reproduction. Si certaines femmes font volontairement le choix de rester à la maison pour s’occuper de leurs enfants et reprendre une activité plus tard, cela relève de leur décision personnelle. Cependant, bien souvent, ce choix ne leur est pas offert.

Comment les femmes vivant en posture d’immigration ou de retour d’immigration font-elles face aux réalités socio-religieuses liées à l’islam, à la polygamie et au mariage dans le contexte sénégalais ? Rencontrent-elles des défis supplémentaires en raison de leur expérience à l’étranger ?

Ces femmes sont partagées entre plusieurs expériences. Elles sont habituées à un mode de vie effréné à l’étranger, où elles jonglent entre travail, transports et famille. De retour au pays, elles ressentent un fort contraste, car tout semble tourner autour du foyer. Cela influence leurs discours et actions par rapport à d’autres.

En écrivant “Revendications silencieuses”, avez-vous cherché à susciter une prise de conscience ou à remettre en question les normes sociales liées à l’islam, à la polygamie et au mariage ? Quel message souhaitez-vous transmettre aux lecteurs concernant ces thèmes ?

J’ai souhaité représenter nos façons de vivre ces questions, directement rattachées à la région, sans remettre en question les valeurs locales. Nous sommes le fruit de nos expériences, de nos trajectoires et de nos objectifs de vie.

Quel est le rôle du féminisme dans le contexte socio-culturel du Sénégal et comment peut-il être positionné pour tenir compte des valeurs locales ?

Le féminisme au Sénégal vise à réduire les inégalités dans les rapports sociaux, ce qui influencera les institutions et notre perception des femmes dans la vie active en tant qu’individus à part entière et non comme des assistantes ou des moitiés.

Quel est votre dernier mot ?

Je souhaite une société sénégalaise attachée à ses valeurs, en reconnaissant d’abord la femme en tant que citoyenne et individu avec des ambitions, avant de lui attribuer des rôles biologiques. Cela nous permettrait de sortir des stéréotypes liés à la cuisine, la maternité et autres activités de soin, pour devenir des maillons du développement et des sciences. J’espère que les théories développées par plusieurs intellectuelles sénégalaises et africaines seront valorisées pour orienter les stratégies d’émancipation dans les espaces privé et public.