Comment faire vivre ensemble essai et dimension autobiographique ? Tel est le pari risqué de l’auteur de cet excellent livre. Ibrahima Brice Koué a, de manière habile, trouvé le sésame qui lui permet de réunir les deux genres pourtant peu conciliables : «l’essai subjectif»

Vivre, penser et écrire constitue en effet pour lui le triptyque de l’entière réalisation personnelle, humaine et intellectuelle. Le lien entre sa vie et celle des autres étant le fil rouge qui parcourt avec régularité ce beau récit.

Ainsi les pages sur les péripéties de sa vie (qu’il aborde souvent sur le versant de la mélancolie, de l’angoisse parfois, ou sur son rapport avec sa famille biologique, ou de son passage bien utile au Village SOS) forment un tissu de «biographèmes» (pour reprendre le terme de Roland Barthes. Se dire et se connaître ne peuvent idéalement s’exonérer de la connaissance intime des amitiés discrètes : Samba Bokoum, Maman Cyrille Kampale, Wagane, Maman Brigitte, Aly, Souleymane, Serge, le frère jumeau…

L’exemple de Maman Cyrille est emblématique : cette femme nourricière des autres a, durant toute sa merveilleuse vie, marqué l’auteur du livre ; elle a immensément contribué à son éducation et à sa réussite. Une maman empathique. Son départ l’a tout de même hanté par ce qu’il suggérait d’affreux : sa vie morale et scolaire était du coup réduite soit à un pari risqué, soit à un bout de chair cérébrale. Ibrahima Brice Koué ne perd jamais son empathie, ses affects, son équilibre, ses vertus : «il est possible de faire des merveilles, de vivre, de faire vivre, de rendre heureux, même après qu’on a souffert» (avant-propos).

 A la recherche de son «moi idéal», mais aussi de ses facettes et réalités, il reste conscient du fait que «nous devenons les créatures de notre milieu». La simplicité d’un décor stimule en effet sa santé psychique et l’envahit de plein fouet depuis sa tendre enfance jusqu’à l’âge adulte. Ce qui justifie naturellement son sens de l’honneur dans toutes les situations. Non sans s’interroger sur la contradiction au sein de sa propre famille biologique, il note avec justesse, comme par ironie, l’idée qu’il se fait de la vie en général : «le partage, cette richesse qui augmente et ne diminue jamais».

L’auteur rappelle, dans son livre, son passage symbolique aux Parcelles assainies, ainsi que son départ forcé pour la ville de Louga pour le compte des études ; en sa langue élégante et accessible, il nous plonge avec bonheur dans cette mosaïque de micro récits et de pensée réflexive qui dresse mieux que son autoportrait, parcourant ainsi, au travers de scènes parfois burlesques, son propre moi idéalisé. L’identité est-elle alors plus biologique que culturelle ? Nous pouvons affirmer les deux à la fois. Avec finesse et modestie, Brice confronte au livre son expérience familiale des deux rives, observant sa propose progression, rythmée à la fois de bonheur et de facéties.

L’auteur est pour ainsi dire un simulacre d’individu forgé dans la tourmente des contextes. En conséquence, les éléments qui composent cet essai subjectif sont évidemment irrésistibles : par leur force documentaire, leur réalisme, et par le don de conteur de l’auteur lui-même sur ses propres expériences personnelles. Voici qu’il tente de pactiser avec des émotions durement ressenties, en conscience que nous devons ensemble sourire malgré la souffrance «aux belles perspectives qui s’annoncent à l’horizon».

De même, entre déterminisme et liberté, il pourrait par ailleurs se poser la question : A quel point sommes-nous prisonniers de la souffrance ? «Cette grande intelligence a su s’adapter aux situations et persévérer», pour reprendre l’auteur de la préface de son livre, Son ami Samba Bokoum. Sa curiosité est insatiable. Répondant alors : «la passion pour la lecture et du journal télévisé lorsqu’il était au Village SOS».

A la recherche des mystères de sa personnalité, il sait (vivre, penser, regarder, cette fois-ci) dans la tourmente avec l’écriture comme catharsis. Par ailleurs, la vocation de conteur qu’on lui prête ne se satisfait pas de raconter des histoires, si elles ne sont pas accompagnées d’une pensée sur leur nécessité. En toute logique, ce livre est le lieu où il faut tout exposer, quitte à se méprendre sur la personne : «à travers les lignes qui suivent, j’expose ma vie, mon parcours, tout mon être…» C’est pourquoi il n’hésite pas à mêler fiction et réalité, voire textes poétiques et écriture autobiographique. Ibrahima Brice Koué a également reçu autant de prix de différents concours organisés au sein des écoles qui ont façonné sa vie en tant qu’apprenant. Il a découvert d’autres horizons avant de revenir au bercail, notamment le Maroc. (dernier chapitre du livre).

A travers ce beau chef-d’œuvre, il rend un hommage mérité à tous ses parents et amis qui l’ont porté jusque-là. Eclats de soi dans «Souvenirs et perspectives» de Ibrahima Brice Koué Comment faire vivre ensemble essai et dimension autobiographique ? Tel est le pari risqué de l’auteur de cet excellent livre. Ibrahima Brice Koué a, de manière habile, trouvé le sésame qui lui permet de réunir les deux genres pourtant peu conciliables : «l’essai subjectif».