
Nous avons tendance, après avoir écouté ou lu une fiction, de prononcer cette formule souvent connue « ce n’est qu’une histoire ». En tant que lecteur passionné de récits, je trouve que cette appréciation fonctionne plutôt comme un biais collectif qui n’a pas trop de signification – en ce sens qu’elle n’informe pas réellement sur le sens réel de la création humaine ou sur la portée de son pouvoir subliminal. Même s’il d’agit d’histoires inventées ou crées sous le couvert de l’aventure romanesque ou de l’invention strictement imaginaire, nous sommes malgré tout conscients du fait qu’elles sont susceptibles d’influencer activement notre énergie, notre humeur, nos émotions et notre compréhension du monde et de nous-mêmes. Les histoires n’affectent pas seulement la pensée consciente et l’émotion, mais aussi l’humeur et l’énergie. En lisant, je ne trouve pas en effet de raison aussi valable outre que celle qui dicte ce désir puissant de nouer un contact avec l’histoire racontée et dont je mesure la force de délivrance naturelle pour tout lecteur avide de drame ou de passion humaine. Car il s’agit de drame humain au fond.
« Que sont les histoires ? De nos jours, nous avons tendance à considérer les histoires comme faisant partie de cette entreprise commerciale hautement spécialisée connue sous le nom d’industrie du divertissement. Mais avant qu’il n’y ait des films, des romans ou même des poètes, il y avait simplement des gens qui essayaient de donner un sens à l’existence. La vie, c’est l’histoire. Je soutiens à ce titre l’approche qui consiste à reconnaitre que les « règles d’écriture » sont, en fait, une tentative de comprendre et de cartographier l’expérience de notre conscience humaine. La littérature ou l’art en général a pour vocation de justifier ou d’étendre une telle expérience complexe et riche en mettant en lumière nos forces et faiblesses. Autrement dit, les histoires sont pour nous un miroir critique car elles nous renvoient nos propres expériences et ombres.
Par ailleurs, ce sont ces mêmes histoires qu’on nous raconte qui donnent une certaine cohérence et résonnance à notre vécu. Car nous avons besoin de trouver un sens moral à nos plus petites actions, de nous forger un caractère, de nous rappeler sans cesse notre passé, nos moments de gloire, de pouvoir nous identifier à un personnage – peut-être fantastique ou historique – pour sceller une grandeur, des valeurs, une personnalité. « Les histoires gouvernent le monde précisément parce qu’elles révèlent et influencent à la fois la façon dont nous vivons le monde et la vie elle-même. C’est vrai pour toutes les histoires, de la publicité grossièrement grotesque (bien qu’elle n’en soit pas moins finement travaillée) au film de série B bancal, en passant par le roman d’amour parfait, le film de pop-corn pour les yeux, le roman littéraire primé par le Pulitzer et le film indépendant d’avant-garde », a soutenu K.M. Weiland.
Et puis nous avons presque tous une âme de conteur. Ce qui fait que raconter une histoire qui intègre l’attention de l’autre ou qui met en scène les éléments de la vie est bien plus qu’une prouesse individuelle mais un avantage dans la perspective de rapprochement entre individus de cultures ou d’ethnies différentes. Il est temps de continuer à magnifier ces voix authentiques qui racontent des vérités avec intégrité et authenticité dans un monde de plus menacé par l’IA. La narration intentionnelle est en vérité ce qu’il nous faut pour contrebalancer cette menace directe et mieux satisfaire notre curiosité. Toutefois l’intentionnalité n’est pas, et ne sera jamais, le chemin le plus facile à emprunter pour les écrivains. Mais, vraiment, raconter des histoires n’a jamais été censé être facile pour tous ceux écrivent au regard du contexte. Sinon avec un peu de retenue. La narration est votre tour de passe-passe spécial qui nous permet d’ouvrir des portails vers les profondeurs de la vie sous le couvert de l’aventure, du mystère ou de la romance. Ce qui stimulera notre plaisir en tant que lecteur.
El hadji Thiam
Coordinateur du cercle de lecture de Moukat
