Mayotte, le 19/12/2023

J’entends les battements de rage de mes frères et sœurs. J’entends le vacarme des cœurs bouillonnant de soleil, de sang et de liberté. Dakar qui bruit de deuils. Dakar qui bruit d’espoir et de fronde.

C’était encore hier : Une pluie de têtes révoltées et du sang sur Dakar

C’était encore hier, cet hier récent : la mort et son refrain dans nos rues

Et me voici avec des images rouges dans ma chambre. Impuissant et assistant avec la force de l’imagination “un concert de deuil”. Et me tombe sur la mémoire “Il pleut sur Dakar des têtes révoltées”.

Brutal le titre ! Que dis-je, imagé et coulant à flots ! Et mon esprit qui daigne voyager dans les théories relatives à la titrologie.

Je me rappelle Genette et ses quatre fonctions du titre, élément du péritexte. Et crois-moi cher poète, “Il pleut sur Dakar des têtes révoltées” remplit toutes les fonctions de ce point déclinées par cet esprit. Car le titre de ton recueil informe et séduit. Le titre de ton recueil dégage dans l’esprit du lecteur des tableaux de nuit et de crépuscule. Une voix qui transperce le silence, nos grands silences de mortel.

J’ai bien aimé l’audace qui peuple ton recueil, et ce, dès le début de ta colère. Le ton sévère de l’épigraphe. Le clin d’œil à Gabriel Celaya. Et peut-être cette célébration de ses engagements dans le parti communiste. Cette finesse d’esprit, de ton esprit qui établit un lien, pas si évident, entre Poésie et politique.

Mais vois-tu cher poète, Poésie s’écrit en lettre majuscule et toujours, contrairement à la politique. Un grand “P” qui rappelle l’immensité de l’abîme. L’infini de la douleur humaine. L’âme et ses remous.

Poésie s’écrit dans tout ce qui rabaisse le salement politique et le politiquement sale. Et tu l’auras compris, Poésie s’écrit toujours sur les feuilles de l’Espérance même lorsqu’elles sont tachées de sang et d’éclipse. Car “ La poésie est une arme chargée de futur”.

Et petite anecdote, petite histoire.

Un jour, un grand poète de notre pays a voulu être politique. Il a été politique. Le pouvoir entre ses mains. L’honneur de diriger son peuple acquis. Les applaudissements de son peuple acquis. Le tout du pouvoir acquis comme on acquiert un trésor.

Mais un jour cet homme oublia sa poésie et devint chaos. Ferma ses poèmes comme des portes en acier.

Puis cet homme dans l’oubli de sa poésie ouvrit des prisons et y mis ses opposants dans le noir. Et certains y moururent comme Blondin. Assassinat ou mort naturelle. Mon instinct opte pour le premier alors que ma raison me dit “ prudence”. Et d’autres refusèrent après de lui pardonner. Car là où le poème pleure l’homme ne peut pardonner. Et Mamadou Dia n’a pas pardonné. Et c’est la mort qui le console aujourd’hui.

Et un jour le Poème me dit: “la politique n’est pas mon contraire, mais les hommes politiques sont mes ennemis. ” Et tu l’auras compris cher poète, on se fait facilement ennemi du Poème sur l’échiquier politique.

J’ai bien aimé te voir bâtir des murs de possible. Et surgissent ainsi tes accusations et tes crachats sur les politiciens. Surgissent les vides qui ne tuent pas le poète qui résiste et dit :

“ j’ai mal partout

je ne respire plus

je suffoque

mes larmes montent aux cimes

ma douleur est une canicule sans été

un cynodrome sans lévriers

une ruche sans abeilles

une poésie qui dégénère

comme une fade voix d’opéra”

Il apparait alors clair que ce qui chagrine le poète ne le tue pas. Ce qui vide le poète ne le tue pas. Ce qui suffoque le poète ne le tue pas. Ce qui décroche ses larmes ne le tue pas. Seul le silence face à l’iniquité tue le poète.

J’ai bien aimé le style de ton recueil qui dit bonjour au concis. Le vers n’a besoin d’aucune longueur pour remplir l’esprit et l’âme. La Poésie non plus. Et la beauté et le message non plus.

Ce stylé coupé, laconique et du minimum épure tes sentiments et vêt d’une tenue de nouveauté à ta Poésie.

Qu’est-ce d’ailleurs qu’un poète qui ignore les vertus du renouvellement ? Qu’est-ce qu’un poète qui ignore comment se faire peau neuve lorsque la Muse arrive ?

J’ai bien aimé toutes les formules qui claquent dans ton recueil, et les images pleines de gueules invisibles. Et me viennent à l’esprit : “ Ici repose le peuple”, “ fermer les bouches qui puent l’insolence”, “ que nul n’habite ici s’il n’est poète” etc.

Mais attention cher poète ! Les poètes de mon pays ne voient de solutions à leurs mouises qu’auprès de Dieu. Une ritournelle barbante dans la poésie sénégalaise. Toujours Dieu. Chaque recueil lu Le nomme avec des demandes déraisonnables. Encore Dieu. Clichés sur clichés Dieu. La foi qui salit et souille parfois le Poème.

Attention cher poète ! Peut-être que Dieu ne veut plus avoir affaire aux humains, et quand bien même qu’IL le voudrait, peut-être que les hommes ne veulent plus de Lui.

Et qu’en penses-tu cher poète ?

Zacharia SALL,

Lauréat du Prix Léopold Sédar Senghor (Italie); Mention Spéciale du Prix Simone de Carfort de la Découverte poétique (France); Prix du jury du Prix de la Poésie Martial Sinda (France).