Par Adama Samaké

Le roman « SAARA » de l’écrivain mauritanien Beyrouk fut désigné, ce 29 février 2024, lauréat du prix littéraire international  » LES AFRIQUES » 2023. Publié aux Éditions Elizad en 2022, cet ouvrage a eu la faveur du jury composé d’éminentes personnalités du monde littéraire et intellectuel: Ambroise Kom, Boubacar Boris Diop, Philippe Bonvin, Adélaïde Findinatou, Alphoncine Bouya, Hortense Sime, Josias Semujanga et Sada Kane.

Le comité de lecture, première instance dévaluation composée également de personnalités aguerries, avait sélectionné, parmi une quinzaine d’ouvrages, cinq finalistes que sont:

  • « Saara » de Beyrouk publié aux Éditions Elizad,
  • « Le feu du milieu » de Touhfat Mouhtare paru aux Éditions « Le bruit du monde »,
  • « Si le soleil se dérobe » de Dennis-Benn publié aux Éditions L’Aube,
  • « La maison de pierre » de Novuyo Rose Tshuma publié aux Éditions Actes Sud,
  • et enfin  » La ligne de couleur » de Igiaba Scego publié aux Éditions Dalva.

C’est le lieu de rappeler que ce prix coordonné par l’association « CENE Littéraire » (Cercle des Amis des Écrivains Noirs Engagés) se donne pour objectif de promouvoir la littérature africaine et afro descendante en distinguant  » un (e) écrivain (e) africain (e) ou afro descendant (e), auteur (e) d’une fiction mettant en exergue une cause humaine, sociétale, idéologique, politique, culturelle, économique ou historique en lien avec l’Afrique ou sa diaspora ».

Mais force est de souligner que cette oeuvre oeuvre romanesque se démarque par l’originalité de sa structuration et sa qualité stylistique. Elle dévoile un système narratif rythmé adossé à un discours poétique constitué d’une pluralité d’images, un itinéraire narratif fondé sur l’alternance des voix qui confère un rythme théâtral au jeu scriptural et une performance linguistique indéniable facilité par la simplification de la construction syntaxique.

Récit accessible, « Saara » se singularise, par ailleurs, par une profondeur spirituelle du sujet doublée d’une audace narrative. Elle se veut une interrogation sur la condition humaine du point de vue spirituelle; interrogation soutenue par une décentration dynamique de l’instance narrative. En effet, trois narrateurs (Saara, Cheikh, le mendiant) dont les récits et noms constituent respectivement les différents chapitres et titres du roman portent la trame évènementielle qui est charpentée précisément sur les thématiques de la corruption et des injustices sociales.

Ainsi, à travers la corruption administrative caricaturée par un maire indélicat, avide et les injustices sociales subies par trois protagonistes que sont Saara (divorce des parents), Jid le sourd-muet (pauvreté), Le Cheikh (expropriation de terre), la narration pose la problématique de l’aliénation sociale et se pose au demeurant comme une vaste enquête anthropologique pour déterminer les sources de la décomposition sociale. Elle montre implicitement comment l’injustice peut entraîner le radicalisme religieux et le terrorisme. La déportation du Cheikh soufis laisse présager des lendemains difficiles qui pointent le nez avec l’attentat fomenté par Jid le sourd-muet.

Véritable catharsis des consciences individuelle et collective, la performance scripturale explore le métabolisme social contemporain pour susciter la réflexion sur les origines de la dépravation des moeurs, l’intégrisme religieux, les inégalités sociales, l’environnement, la mondialisation. Elle accorde, en outre, une place non moins importante aux âmes par l’exploration des pensées et des comportements des agents sociaux pour comprendre l’essence de leurs actions, des leurs déviations. La rencontre de la prostituée (Saara) et du fervent religieux (Le Cheikh) en est une étape majeure.

Autrement dit, cette oeuvre romanesque se détermine comme une interrogation insistante sur la mémoire de l’humanité dominée par la propagation des conflits, la déconstruction et le dysfonctionnement des institutions sociopolitiques, pour tenter d’appréhender les conditions d’une re-socialisation et d’une nouvelle humanisation dans ce contexte de mondialisation, de changement climatique, de destruction de la nature, d’internationalisation du terrorisme et de perte des valeurs.

Le projet d’écriture est, en conséquence, d’appeler à une réécriture d’une histoire plus humaine de l’Histoire de l’humanité; confirmant ainsi l’idée selon laquelle la littérature est, avant tout, « jeu de projection pour une nécessité de construction ».