
Je ne vais pas vous mentir : en ouvrant « Terre Battue suivi de pages noires noires» et en découvrant qu’il ne contenait pas moins de 123 poèmes, j’ai failli refermer le livre. 123 ? Sérieusement ? Était-ce un manuel ? Un recueil sacré ? Un carnet d’exil ?
Mais très vite, l’appréhension laisse place à la fascination. Car derrière cette apparente démesure, Maodo Sy propose un voyage poétique structuré, profond, et redoutablement humain.
Le recueil Terre battue suivi de Pages noires se structure en deux grandes parties : Terre battue et Pages noires. Deux volets complémentaires, presque deux hémisphères d’une même conscience poétique.
Dans cet ensemble, les textes s’ancrent profondément dans la mémoire, le sol, la lumière, mais aussi dans la fragilité du vivant. Les titres eux-mêmes — Niodior, Le Dépôt, Bel Encre, Face au Soleil, Sentence, Averse Matinale — traduisent un attachement fort au monde sensible et tangible. La poésie qui s’en dégage est charnelle, parfois lyrique, parfois méditative, mais toujours habitée par le souci de saisir l’instant ou de l’inscrire dans une parole
« Chaque jour s’annonce avec ses leurres
/ Telle une empreinte intime : d’une heure »
Dans la deuxième partie, Pages Noires, la tonalité change. Le poète s’aventure dans les replis plus sombres de l’âme humaine et du monde. Ici, les titres s’assombrissent : Conscience, Soif de Noirceur, Mal de Langue. L’écriture devient plus abrupte, parfois provocatrice, mais toujours lucide.
Dans tout le recueil du géographe passionné de lettres, il y a des poèmes doux, des poèmes brillants, des poèmes qu’on lit sans trop réfléchir… et puis il y a « Imposture ». Le septième du livre, comme un chiffre porte-malheur pour ceux qui aiment la poésie tranquille, bien rangée, pleine de métaphores sucrées. Ce poème-là, c’est un coup de pioche dans le crâne. Littéralement, puisque l’auteur commence par : « Au secours, je creuse ma tête ». Et il ne plaisante pas.
Quand la poésie devient un chantier mental
On pourrait croire à une belle introspection poétique, une exploration subtile de l’âme… mais non. Ici, on creuse, on gratte, on saigne. Le fils de Samine se compare à un orpailleur, sauf qu’au lieu de trouver de l’or, il tombe sur de la sueur, du sang, et un tas de frustration. Pas de récompense, pas d’illumination divine — juste la vile profondeur de la pensée, où même le poète semble s’être perdu.
La poésie ne réchauffe plus personne ?
Et quand on pense qu’il va se calmer, voilà qu’il enchaîne avec un aveu glaçant : ses vers manquent de chaleur. Rien que ça. Peut-être, dit-il, par peur de regarder le monde en face. Un monde de malheur, dominé par des élites noires (aïe), et manipulé par l’Oxydant (jeu de mots corrosif entre oxydation et colonisation occidentale, au cas où tu n’avais pas compris). Bref, le poème devient pamphlet, et la poésie se transforme en cri politique. Ça dérange ? Tant mieux, semble-t-il.
Poètes de salon, passez votre tour
La dernière strophe est un vrai délice — si on aime l’ironie mordante. Le poète lance une flèche (empoisonnée) à ses confrères, ceux qui écrivent de jolis vers dans leurs « tours d’ivoire », bien à l’abri de la réalité. Il les épargne… mais à peine. Ce qu’il veut, c’est une poésie vivante, violente si nécessaire, qui secoue, qui bouscule. Un vers qui ne se contente pas de faire joli, mais qui hurle, qui saigne, qui se révolte. Une poésie qui « tue-tête », et non « tout en tête ».
un poème coup de pelle?
Oui, « Imposture » m’a marqué. Non pas parce qu’il est agréable à lire au coin du feu, mais parce qu’il dérange, il provoque, et surtout, il oblige à réfléchir. Et dans un monde où beaucoup de poèmes sont des bulles de savon, celui-ci est un pavé lancé dans la mare. Maodo Sy ne cherche pas à plaire — il cherche à secouer. Et franchement, ça fait du bien.
Une œuvre totale, un miroir tendu au lecteur
Avec Terre Battue suivi de pages noires, Maodo Sy réussit à faire de la poésie une expérience complète, presque physique. C’est un recueil qui ne se lit pas d’une traite, mais qui se reçoit, comme on reçoit un choc doux ou une pluie d’images.
Et si le nombre de poèmes impressionne, c’est leur diversité, leur cohérence, et surtout leur sincérité qui marquent. Il s’inscrit dans cette lignée d’écritures qui dérangent autant qu’elles éclairent, et qui rappellent que la poésie, quand elle est authentique, est toujours du côté de la vérité.
Coumba Coulibaly Preitty
Pikine,06 MAI 2025