Elle était jusque-là connue comme étant un de nos plus hauts – et des plus brillants magistrats au point de siéger aujourd’hui au Conseil constitutionnel après avoir gravi tous les échelons de la magistrature mais, ce qu’on ignorait, c’est qu’elle avait plusieurs cordes à son arc. Ou, plutôt, à son violon d’Ingres. Pour son premier roman, « Solitudes », paru aux Editions « L’Harmattan», Aminata Ly Ndiaye, puisque c’est d’elle que nous parlons, nous offre à lire une galerie de femmes à la vie chahutée, écorchée, tumultueuse et escarpée, Si la grande royale des Lettres sénégalaises, Madame Aminata Sow Fall, est estampillée pour son talent de conteuse pour adultes, on pourrait dire d’Aminata Ly Ndiaye qu’elle sait raconter elle aussi une histoire en tenant le lecteur en haleine. Un lecteur qu’elle sait, avec un talent inoui entrainer dans les dédales de la vie difficile et touchante de jeunes femmes rattrapées par un destin pitoyable, Par le vécu de son héroine, Fatim, on s’habitue à des visages avec qui le destin n’a pas été clément. Un destin qui se présente souvent sous des traits revêches.
Fatim est une belle et séduisante femme que beaucoup de ses sceurs pourraient envier. Un poste de responsabilité dans une prestigieuse societe internationale, un mari qu’elle chérit et qui l’entoure d’une grande affection, Des jumelles qui font le bonheur de leurs parents. Hélas, derrière cet univers idyllique, se cachent des blessures que le lecteur découvrira qu’aux dernières pages de l’ouvrage, un lecteur qui, emballé par le fil du récit, éprouve le besoin irrépressible de dévorer les pages pour connaître enfin le dénouement de l’intrigue si bien nouée par Aminata Ly Ndiaye. Dans ce merveilleux livre écrit par une plume alerte et sans fioritures, il y a Fatim qui tient le rythme du roman. Anta Barila, son extravagante collègue, l’embellit par son côté pittoresque. Une dame dynamique dans le travail, mais éloignée des hommes par son excentricité. «Jamais de mémoire d’homme, la vulgarité et le mauvais goût ne s’étaient si parfaitement alliés chez une femme», ainsi l’avait croquée méchamment un collègue. Fatim, issue d’une famille modeste, a dû se battre pour sortir celle-ci de la précarité. Son père, Nino, un enseignant, est obligé de quitter son logement de fonction. Radié de la fonction publique pour des propos jugés subversifs par l’administration, il se résout à donner des cours dans le privé. Une scolarité studieuse pour la jeune fille au crâne rasé pour ne pas perdre du temps à se coiffer. Une scolarité sanctionnée par un Bac. L’université s’ouvre à elle d’où elle sort avec le titre de juriste des affaires avant de se retrouver Directrice adjointe, puis Directrice Administrative de la société Burren West Africa où elle rencontre celui qui sera son mari, Dr Gaye, le médecin de l’entreprise. Un couple qui respire le bonheur. Malheureusement, derrière cette vie dorée de Fatim, se cache un terrible secret que le mari et même sa famille ignorent. Destin cruel d’une femme à l’image de celui de Fily, une camarade d’enfance de Fatim. Fily est mariée à un Européen. En toile de fond, les problèmes des couples mixtes.

Destin cruel de jeunes filles
Sini, Absa et Diodio. Trois femmes à la vie chahutée. Des jeunes filles qui rêvaient d’une belle réussite. Exclues de leur lycée en classe de terminale pour fait de grossesse, chacune d’entre elles porte une histoire. Sini décide de mettre fin à ses jours. Absa se voit mariée de force à la naissance de son enfant au village par un homme qui a l’âge de son père. Elle revient à Dakar au décès de son mari pour y mener une vie de débrouille. Elle voudrait également retrou ver à l’île de Ngor son fils parti à la recherche de son père lorsqu’il apprit qu’il est né sans géniteur. Diodio rêvait d’être une hôtesse de l’air. D’où son surnom de Shirly. Elle accouche d’un mort-né. Condamnée pour infanticide, elle se retrouve seule, menant une vie difficile jusqu’à ce qu’elle rencontre un certain Toks. Un personnage du monde malfamé qui écoule sa drogue en se déguisant en mendiant et qui l’avait pris sous son aile protectrice. Trois vies qui auraient dû prendre un autre cours si justement Fatim n’avait égaré la fameuse clé de la boite à lettres de son lycée où était scellé le destin de ces trois lycéennes renvoyées par un vote qui aurait pu être en leur faveur. « Sini, Absa, Diodio. Trois destins, pleins de promesses, qui s’étaient brisés. Et elle, Fatim, était responsable de cette tragédie », écrit l’auteure. A travers une écriture sobre, Aminata Ly Ndiaye croque avec tendresse et mélancolie la vie de chacune de ces femmes que l’on découvre plus tard unies par l’école d’où elles ont été renvoyées. Leur sort aurait pu être écrit autrement par Fatim qui cache un terrible secret. Bon, on s’en arrête là pour ne pas déflorer ce secret qui donne tout son charme à ce roman.
Assurément, Aminata Ly Ndiaye, qui exerce la profession de magistrat, nous l’avons déjà dit, sait raconter des histoires. Dans ce roman, elle aborde également des problèmes relatifs au dénuement des structures sanitaires et de nos établissements scolaires. Un regard pour le moins lucide et d’une grande objectivité. Riche de 232 pages, ce roman est à découvrir.

A. S. G.