Cher aîné,

Je me permets de reprendre votre propre formule pour vous faire savoir, avec beaucoup d’humilité et de pédagogie, que vous êtes sur une fausse piste. « Rien au monde n’est plus dangereux qu’une ignorance sincère et une stupidité consciencieuse », disait Martin Luther King. Lorsqu’on prend la décision de publier un texte sur les réseaux sociaux, en s’attaquant ouvertement aux jeunes écrivains sénégalais, il faut toujours s’attendre à des contradictions, des répliques, sinon à des réponses à la hauteur de ce qui est dit, ou précisément formulées dans le même ton.

D’abord, à propos du Forum sur le livre, et des événements ayant conduit à son report, vous avez demandé : « Quel était le problème ? » Or, c’est vous même qui avez rejeté sans la moindre réserve la composition du comité scientifique. Après tant d’opposition, pourquoi ce volte-face aujourd’hui ? Ce qui est aberrant et abject dans vos propos, c’est cette incohérence saisissante, cette incongruité alarmante qui vous pousse à bringuebaler entre Leurres et lueurs ; « cette dialectique positiva-négativa » dans laquelle vous semblez vous nicher, après avoir retourné votre tunique Mille et une nuits, pour finalement conclure qu’un comité scientifique « n’est ni nécessaire, ni obligatoire ». Mon œil ! Pardon, ma bouche !

N’est-ce pas vous, Waly Ndour, qui avez fustigé ce comité, en affirmant qu’il snobait les acteurs du livre ? Et voici que, dans un autre élan, vous jetez l’opprobre sur la RFM, alors que c’est la Cellule de communication du Ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Culture qui a adressé une demande de couverture médiatique au Groupe Futurs Médias (GFM).

Ensuite, je suis heurté, mais pas surpris, par votre attitude : ce regard vindicatif et haineux que vous portez sur les jeunes. Ces jeunes que vous comparez à des « terroristes », « dictateurs », « délinquants », « incapables »… La jeunesse de votre pays, tout de même ! Quelle dégringolade d’esprit !

Vous dites : « être jeune n’est pas une qualité. C’est un état ». Une phrase qui se veut lucide mais qui, sortie de votre bouche, sonne comme un verdict. Nous vous retournons la formule : être vieux non plus n’est pas une qualité. C’est un état. Et si l’on en croit l’adage selon lequel la vieillesse est synonyme de sagesse, alors il faut aussi admettre que cette sagesse ne va pas de soi. Elle n’est ni génétique, ni garantie par les années. L’histoire regorge de beaucoup de vieux nuisibles : Mobutu Sese Seko, qui a saigné le Congo jusqu’à l’os. Paul Biya, au pouvoir depuis plus de 40 ans sans légitimité populaire. Omar Bongo, éternel président. Yoweri Museveni, qui s’accroche au pouvoir comme une relique personnelle. Ceux-là avaient l’âge de la « sagesse », mais leur gestion du pouvoir a contribué à une impasse politique, sociale et économique dans leurs pays.

Par ailleurs, certains passages de votre texte sur vos sacrifices et vos réalisations, et la perception réductrice que vous avez des jeunes, m’ont montré qu’il y a bien des choses que vous ignorez sur cette nouvelle génération d’écrivains. Il me faut vous dire que ce n’est pas le livre qui nous nourrit. Nous avons tous (ou presque) un métier qui nous permet de vivre dignement, sans être laudateurs de qui que ce soit. Mour SEYE, président de Parlons Poésie, est un professeur de lettres, Saliou Diop CISSÉ, président du Cénacle des Jeunes Écrivains du Sénégal, est un inspecteur des impôts. Mieux, je vous dresse ici le tableau, non exhaustif, des jeunes que vous taxez de tous les noms d’oiseaux : Papa Moussa Sy, Elaz Ndongo Thioye, Zacharia Sall, Dieynaba Sarr, Ndeye Fatou Kane, Pape Alioune Sarr, Patherson, Abdoulaye Seck, Soda Ndoye, Babacar Ndiaye Korjo, Pape Michèle Mendy, Ousseynou Thiombiano, Mandiaye Camara, Aminata Jules Dia, Adama Pouye, Khalil Diallo, Ndeye Anta Dia, Tabara Niang… La liste est longue, mais ce sont tous des responsables, des autorités, pas que des jeunes dans votre logique décalée.

Les jeunes ne demandent pas la charité, ils demandent une justice intergénérationnelle. Ils ne veulent pas remplacer les anciens, mais construire avec eux, sur des bases nouvelles, débarrassées de la suffisance et du mépris.

Vous parlez de patriotisme ? J’en ris. Moi, enseignant, j’ai servi mon pays pendant six ans dans un village sans eau courante ni électricité. Je ne me suis jamais plaint, donc j’ai enduré d’une belle endurance, pour parler comme l’autre politicien. Aujourd’hui, je suis Inspecteur de l’Éducation en formation, après avoir réussi au prestigieux et sélectif concours Probatoire au CREI, sous la tutelle du Ministère de l’Éducation nationale que vous osez taxer de « Ministère de la jeune fille ». Quel manque de respect !

En effet, je tiens à vous assurer que je ne quémande rien dans ma vie. Je sue pour écrire. J’ai commencé à travailler à 23 ans, et aujourd’hui, à 35 ans, j’ai déjà construit une maison pour mes parents, qui ne cessent de prier pour moi. Alhamdoulillah ! Suis-je toujours, pour vous, ce jeune incapable, sans foi, amateur de facilité et de gain rapide ? J’espère que vous serez en mesure de reconnaître vos propres mots.

Revenons maintenant au plan littéraire. Vous parlez des sacrifices qui vous aurez fait en 2021 ; pour ma part, je ne cesse d’en faire depuis 2016, bien avant votre CONEES, à travers le Collectif Parlons Poésie que j’ai fondé. Aujourd’hui, j’ai cédé ma place de président, suite à une assemblée générale que j’ai moi-même initiée. Aussi, je ne m’attarderai pas sur nos réalisations, car seuls les faits sont révolutionnaires. Mais c’est en outre une manière de vous dire que je ne m’attache ni au prestige ni à la gloire. Je ne suis pas un chasseur de primes.

À votre âge, cher aîné, on ne jalouse plus, on transmet. On ne se bat plus pour la lumière, on éclaire. On ne confisque pas les tribunes, on les cède progressivement. On ne discourt pas pour être applaudi, on parle pour être utile. On ne mesure pas son utilité à l’aune des sacrifices passés, mais à celle de la place qu’on laisse aux générations qui arrivent. Certes, le Sénégal de demain ne se fera pas contre vous, mais il ne peut se faire sans nous. Et si vous voulez être du bon côté de l’histoire, c’est maintenant qu’il faut faire le choix : vous pouvez rester ce vieux grognon que la jeunesse contournera, ou devenir ce sage éclairé que la jeunesse écoutera.

Pour conclure, je vous informe que nous ne sommes ni dans la division, ni dans la rupture générationnelle, ni dans la construction d’une fracture au sein de notre ossature littéraire. Nous respectons nos aînés, et ceux d’entre eux qui sont de bonne foi le savent. Nous les avons lus, écoutés, servis. Nous sommes courtois et bien éduqués, talentueux et humbles, patients, passionnés et visionnaires. Cependant, notre démarche est claire, notre intention positive, notre revendication légitime : Créer des ponts intergénérationnels, à tous les niveaux, dans le secteur du livre, pour le rayonnement de notre littérature.

In fine, je suis un jeune qui a choisi de vous répondre, parmi tant d’autres qui ont préféré se taire, face à ce qu’ils considèrent comme une pauvreté d’esprit et un argumentaire creux. Vous affirmez que le respect se mérite. Soit. Nous sommes prêts à faire notre part. Encore faut-il que l’on cesse de nous regarder de haut.

Avec respect, mais sans hypocrisie.

Un jeune, debout.

Fara Njaay

Poéte-Écrivain-Éditeur.