
« 𝑃𝑎𝑟𝑐𝑒 𝑞𝑢’𝑒𝑙𝑙𝑒 𝑒𝑠𝑡 𝑏𝑒𝑙𝑙𝑒, 𝑆𝑎𝑎𝑟𝑎, 𝑐̧𝑎 𝑗𝑒 𝑣𝑜𝑢𝑠 𝑙𝑒 𝑗𝑢𝑟𝑒. 𝐸𝑙𝑙𝑒 𝑎 𝑑𝑒𝑠 𝑦𝑒𝑢𝑥 𝑞𝑢𝑖 𝑣𝑜𝑢𝑠 𝑖𝑛𝑣𝑖𝑡𝑒𝑛𝑡 𝑎̀ 𝑚𝑜𝑢𝑟𝑖𝑟, 𝑑𝑒𝑠 𝑗𝑜𝑢𝑒𝑠 𝑎𝑢𝑠𝑠𝑖 𝑙𝑖𝑠𝑠𝑒𝑠 𝑞𝑢𝑒 𝑐𝑒𝑙𝑙𝑒𝑠 𝑑’𝑢𝑛 𝑏𝑒́𝑏𝑒́ 𝑒𝑡 𝑢𝑛𝑒 𝑣𝑜𝑖𝑥 𝑞𝑢𝑖 𝑣𝑜𝑢𝑠 𝑓𝑒𝑟𝑎𝑖𝑡 𝑡𝑜𝑢𝑠 𝑑𝑎𝑛𝑠𝑒𝑟. »
Lire 𝐒𝐀𝐀𝐑𝐀, roman publié en 2022 aux Éditions Elyzad, c’est plonger dans un récit engageant où s’entrechoquent injustice et amour, foi et liberté, tradition et modernité, soumission et révolte. Lauréat du Prix littéraire Les Afriques 2023 de La CENE littéraire, Mbarek Ould Beyrouk y tisse une fresque captivante, portée par une écriture à la fois lyrique et tranchante. Il y explore avec finesse la complexité des sociétés contemporaines, où l’ordre vacille sous les assauts du désir d’émancipation.
Dès les premières pages, le lecteur est happé par Louad, cité austère où la prière et la loi façonnent chaque instant, bastion d’un ordre religieux résistant aux vents de la mondialisation. Ici, la foi se dresse comme une forteresse, et ceux qui osent en franchir les remparts se heurtent à un mur d’interdits. C’est dans ce décor aride que se nouent des destins contrastés : 𝐒𝐚𝐚𝐫𝐚, femme insoumise, ardente et libre, en rupture avec les dogmes ; 𝐐𝐨𝐭𝐛, le Cheikh de la Voie, figure d’autorité spirituelle, écartelé entre la rigueur de sa foi et les tumultes du monde ; 𝐉𝐢𝐝, le mendiant sourd-muet, silhouette effacée dont l’humilité cache une force de justicier insoupçonné ; 𝐒𝐚𝐦, le poète errant, charmeur insaisissable, semeur de doutes et de désirs ; et 𝐌𝐨𝐮𝐬𝐭𝐚𝐟𝐟, le maire corrompu, figure d’un pouvoir gangrené dont l’emprise s’étend sur toute la ville comme une ombre menaçante.
Tout bascule avec l’appel de Louad : une lettre, une détresse, une mère à l’agonie. Poussée par l’urgence, Saara quitte la ville et entreprend un voyage au-delà de la Montagne, vers l’oasis immuable du soufisme, où le temps semble suspendu entre prière et silence.
« 𝐴𝑢 𝑓𝑜𝑛𝑑 𝑑𝑒 𝑚𝑜𝑖, 𝑗𝑒 𝑠𝑒𝑛𝑠 𝑢𝑛 𝑣𝑖𝑑𝑒 𝑞𝑢𝑖 𝑐𝑟𝑖𝑒, 𝑢𝑛 𝑑𝑒́𝑠𝑖𝑟 𝑑𝑒 𝑏𝑟𝑎𝑠 𝑞𝑢𝑖 𝑠𝑒𝑟𝑟𝑒𝑛𝑡, 𝑑𝑒 𝑐œ𝑢𝑟𝑠 𝑞𝑢𝑖 𝑒𝑚𝑏𝑟𝑎𝑠𝑠𝑒𝑛𝑡, 𝑑’𝑒́𝑡𝑟𝑒𝑖𝑛𝑡𝑒𝑠 𝑞𝑢𝑖 𝑑𝑢𝑟𝑒𝑛𝑡 𝑝𝑙𝑢𝑠 𝑞𝑢’𝑢𝑛 𝑖𝑛𝑠𝑡𝑎𝑛𝑡. »
Mais à son arrivée, il est déjà trop tard. Lalla s’est éteinte. Le deuil l’étreint, la consume, et Saara n’aspire qu’à fuir. Pourtant, à Louad, on ne s’échappe pas si facilement.
« (…) 𝑚𝑎 𝑓𝑖𝑙𝑙𝑒, 𝑖𝑐𝑖, 𝑖𝑙 𝑛’𝑦 𝑎 𝑝𝑎𝑠 𝑑𝑒 𝑡𝑒́𝑙𝑒́𝑝ℎ𝑜𝑛𝑒, 𝑛𝑖 𝑑𝑒 𝑡𝑒́𝑙𝑒́𝑣𝑖𝑠𝑖𝑜𝑛, 𝑛𝑖 𝑑𝑒 𝑐𝑖𝑛𝑒́𝑚𝑎. 𝑅𝑖𝑒𝑛 𝑛𝑒 𝑑𝑜𝑖𝑡 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑑𝑖𝑣𝑒𝑟𝑡𝑖𝑟 𝑑𝑒 𝑐𝑒 𝑞𝑢𝑖 𝑑𝑜𝑛𝑛𝑒 𝑢𝑛 𝑠𝑒𝑛𝑠 𝑎̀ 𝑛𝑜𝑡𝑟𝑒 𝑣𝑖𝑒 : 𝑙𝑎 𝑝𝑟𝑖𝑒̀𝑟𝑒 𝑒𝑡 𝑙𝑒 𝑡𝑟𝑎𝑣𝑎𝑖𝑙. »
Puis vient la révolte. Louad est en péril. Un barrage doit être érigé, une décision imposée d’en haut, au mépris des croyances et traditions. Mais les fidèles de la Voie ne plieront pas. Ils résisteront avec ferveur, les mains nues, l’âme en feu.
« 𝑁𝑜𝑡𝑟𝑒 𝑉𝑜𝑖𝑒 𝑟𝑒𝑓𝑢𝑠𝑒 𝑙𝑒 𝑏𝑎𝑟𝑟𝑎𝑔𝑒 𝑒𝑡 𝑗𝑒 𝑗𝑢𝑟𝑒 𝑑𝑒𝑣𝑎𝑛𝑡 𝑣𝑜𝑢𝑠 𝑞𝑢𝑒 𝑗𝑒 𝑓𝑒𝑟𝑎𝑖 𝑡𝑜𝑢𝑡 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑞𝑢𝑒 𝑛𝑒 𝑠𝑜𝑖𝑡 𝑝𝑎𝑠 𝑒́𝑟𝑖𝑔𝑒́ 𝑐𝑒 𝑚𝑜𝑛𝑠𝑡𝑟𝑒 𝑑𝑒 𝑚𝑒𝑛𝑠𝑜𝑛𝑔𝑒 𝑞𝑢𝑖 𝑒𝑛𝑙𝑒̀𝑣𝑒𝑟𝑎 𝐿𝑜𝑢𝑎𝑑 𝑎̀ 𝑙𝑎 𝑓𝑜𝑖. 𝑁𝑜𝑢𝑠 𝑟𝑒𝑓𝑢𝑠𝑒𝑟𝑜𝑛𝑠 𝑒𝑛𝑠𝑒𝑚𝑏𝑙𝑒 𝑐ℎ𝑎𝑞𝑢𝑒 𝑝𝑖𝑒𝑟𝑟𝑒 𝑞𝑢𝑖 𝑣𝑖𝑒𝑛𝑑𝑟𝑎 𝑒𝑡 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑐𝑜𝑢𝑐ℎ𝑒𝑟𝑜𝑛𝑠 𝑑𝑒𝑣𝑎𝑛𝑡 𝑙𝑒𝑢𝑟𝑠 𝑒𝑛𝑔𝑖𝑛𝑠 𝑑𝑒 𝑚𝑜𝑟𝑡, 𝑠’𝑖𝑙 𝑙𝑒 𝑓𝑎𝑢𝑡, 𝑝𝑎𝑟𝑐𝑒 𝑞𝑢𝑒 𝐿𝑜𝑢𝑎𝑑 𝑛𝑜𝑢𝑠 𝑎𝑝𝑝𝑎𝑟𝑡𝑖𝑒𝑛𝑡. »
Avec SAARA, Beyrouk livre une œuvre incandescente où pouvoir, foi et liberté s’affrontent dans un combat inégal. Au cœur du tumulte, l’amour demeure, viscéral et bouleversant, porté par l’attachement indéfectible de Saara à sa sœur disparue. Quitte à tout braver, quitte à tout perdre, elle ira jusqu’au bout.
« 𝐽𝑒 𝑠𝑒𝑛𝑡𝑖𝑠 𝑢𝑛𝑒 𝑒𝑠𝑝𝑒̀𝑐𝑒 𝑑’𝑒𝑢𝑝ℎ𝑜𝑟𝑖𝑒 𝑚’𝑒𝑛𝑣𝑎ℎ𝑖𝑟. 𝑇𝑢 𝑣𝑜𝑖𝑠, 𝑗𝑒 𝑛𝑒 𝑡’𝑎𝑏𝑎𝑛𝑑𝑜𝑛𝑛𝑒 𝑝𝑎𝑠, 𝑚𝑎 𝑝𝑒𝑡𝑖𝑡𝑒 𝑠œ𝑢𝑟, 𝑗𝑒 𝑓𝑟𝑎𝑝𝑝𝑒𝑟𝑎𝑖 𝑎𝑢𝑥 𝑝𝑜𝑟𝑡𝑒𝑠 𝑑𝑒 𝑙’𝐸𝑛𝑓𝑒𝑟 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑡𝑒 𝑟𝑒𝑡𝑟𝑜𝑢𝑣𝑒𝑟, 𝑗’𝑜𝑢𝑣𝑟𝑖𝑟𝑎𝑖 𝑙𝑎 𝑔𝑢𝑒𝑢𝑙𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑚𝑜𝑛𝑠𝑡𝑟𝑒𝑠 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑡𝑒 𝑠𝑜𝑢𝑠𝑡𝑟𝑎𝑖𝑟𝑒 𝑎̀ 𝑙𝑒𝑢𝑟𝑠 𝑑𝑒𝑛𝑡𝑠 𝑎𝑐𝑒́𝑟𝑒́𝑒𝑠, 𝑗’𝑎𝑓𝑓𝑟𝑜𝑛𝑡𝑒𝑟𝑎𝑖 𝑙𝑒 𝑚𝑜𝑛𝑑𝑒, 𝑗𝑒 𝑟𝑒𝑛𝑖𝑒𝑟𝑎𝑖 𝑚𝑒𝑠 𝑗𝑜𝑖𝑒𝑠, 𝑗𝑒 𝑝𝑖𝑒́𝑡𝑖𝑛𝑒𝑟𝑎𝑖 𝑙𝑒𝑠 𝑙𝑖𝑣𝑟𝑒𝑠 𝑠𝑎𝑐𝑟𝑒́𝑠 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑡𝑒 𝑠𝑒𝑟𝑟𝑒𝑟 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑚𝑒𝑠 𝑏𝑟𝑎𝑠, 𝑗𝑒 𝑡𝑒 𝑓𝑒̂𝑡𝑒𝑟𝑎𝑖 𝑐ℎ𝑎𝑞𝑢𝑒 𝑗𝑜𝑢𝑟 𝑠𝑖 𝑡𝑢 𝑚𝑒 𝑟𝑒𝑣𝑖𝑒𝑛𝑠, 𝑒𝑡 𝑗’𝑜𝑢𝑏𝑙𝑖𝑒𝑟𝑎𝑖 𝑝𝑒𝑢𝑡-𝑒̂𝑡𝑟𝑒 𝑐𝑒𝑡𝑡𝑒 𝑓𝑜𝑙𝑖𝑒 𝑑’𝑎𝑚𝑜𝑢𝑟 𝑞𝑢𝑒 𝑗𝑒 𝑝𝑜𝑟𝑡𝑒 𝑒𝑛 𝑚𝑜𝑖, 𝑚𝑜𝑛 𝑐œ𝑢𝑟 𝑠𝑒𝑟𝑎 𝑝𝑙𝑒𝑖𝑛 𝑑𝑒 𝑡𝑜𝑖, 𝑒𝑡 𝑗𝑒 𝑠𝑒𝑟𝑎𝑖 𝑚𝑒̂𝑚𝑒 𝑠𝑎𝑔𝑒, 𝑠𝑖 𝑡𝑢 𝑣𝑒𝑢𝑥… »
Et que dire de la tendresse déchirante de Jid, ce mendiant silencieux, entièrement dévoué à sa mère, à la fois pilier fragile et victime oubliée d’un monde impitoyable ? :
« 𝐸𝑡 𝑗𝑒 𝑠𝑜𝑢𝑓𝑓𝑟𝑒 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑣𝑜𝑖𝑟 𝑠𝑜𝑢𝑓𝑓𝑟𝑖𝑟, 𝑚𝑎 𝑚𝑒̀𝑟𝑒. 𝑅𝑖𝑒𝑛 𝑛𝑒 𝑙𝑢𝑖 𝑎 𝑒́𝑡𝑒́ 𝑑𝑜𝑛𝑛𝑒́, 𝑟𝑖𝑒𝑛. 𝑄𝑢𝑒 𝑑𝑒𝑠 𝑠𝑜𝑢𝑓𝑓𝑟𝑎𝑛𝑐𝑒𝑠. 𝑆𝑎𝑢𝑓 𝑚𝑜𝑖, 𝑝𝑒𝑢𝑡-𝑒̂𝑡𝑟𝑒 ! »
« 𝑀𝑎 𝑚𝑒̀𝑟𝑒, 𝑒𝑙𝑙𝑒, 𝑒𝑠𝑡 𝑠𝑜𝑢𝑟𝑑𝑒, 𝑣𝑟𝑎𝑖𝑚𝑒𝑛𝑡 𝑠𝑜𝑢𝑟𝑑𝑒, 𝑚𝑎𝑖𝑠 𝑒𝑙𝑙𝑒 𝑠𝑎𝑖𝑡 𝑞𝑢𝑎𝑛𝑑 𝑗𝑒 𝑙𝑢𝑖 𝑝𝑎𝑟𝑙𝑒 𝑒𝑡 𝑒𝑙𝑙𝑒 𝑚𝑒 𝑟𝑒𝑔𝑎𝑟𝑑𝑒 𝑎𝑣𝑒𝑐 𝑑𝑒𝑠 𝑦𝑒𝑢𝑥 𝑞𝑢𝑖 𝑒𝑚𝑏𝑟𝑎𝑠𝑠𝑒𝑛𝑡 𝑝𝑙𝑢𝑠 𝑓𝑜𝑟𝑡 𝑞𝑢𝑒 𝑡𝑜𝑢𝑠 𝑙𝑒𝑠 𝑏𝑟𝑎𝑠, 𝑒𝑡 𝑗𝑒 𝑙𝑖𝑠 𝑚𝑒̂𝑚𝑒 𝑐𝑜𝑚𝑚𝑒 𝑢𝑛 𝑒́𝑐𝑙𝑎𝑖𝑟 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑠𝑒𝑠 𝑝𝑟𝑢𝑛𝑒𝑙𝑙𝑒𝑠 𝑒́𝑡𝑒𝑖𝑛𝑡𝑒𝑠, 𝑢𝑛 𝑚𝑜𝑡 𝑠𝑢𝑟 𝑠𝑒𝑠 𝑙𝑒̀𝑣𝑟𝑒𝑠 𝑎𝑝ℎ𝑜𝑛𝑒𝑠, 𝑒𝑡 𝑢𝑛𝑒 𝑚𝑢𝑠𝑖𝑞𝑢𝑒 𝑑𝑎𝑛𝑠 𝑠𝑒𝑠 𝑔𝑒𝑠𝑡𝑒𝑠 𝑚𝑎𝑙𝑎𝑑𝑟𝑜𝑖𝑡𝑠. »
Mais au-delà du politique et du spirituel, Saara marque les esprits, révélant avec une force narrative saisissante la capacité de l’amour à transcender les épreuves et la résistance pacifique d’un peuple enraciné dans sa foi face à une modernité implacable.
Par ailleurs, l’œuvre laisse planer des mystères. L’attirance tacite entre Qotb et Saara ouvre une brèche fascinante dans le récit : lui, guide spirituel d’une confrérie rigoriste, enfermé dans l’ascèse et la prière ; elle, femme libre, brûlant d’un désir inassouvi. Leur confrontation, esquissée avec subtilité, aurait pu intensifier encore davantage la tension narrative. De même, Mahjouba, l’épouse discrète du Cheikh, intrigue par son mutisme et sa présence en retrait, comme une ombre veillant sur un équilibre fragile.
Avec une narration d’une poésie saisissante, Saara révèle, à travers une mosaïque de destins, le portrait d’un monde en mutation, où s’affrontent foi et liberté, tradition et émancipation, silence et révolte.