
Dans Afrisiti, les forces obscures qui étranglent l’Afrique, Ben Amar Faye explore, avec un regard critique et non dénué d’humour, l’impact des croyances occultes sur le développement du continent. Entre superstition, maraboutage et mythes tenaces, l’auteur et éditeur interroge ces pratiques qui façonnent encore aujourd’hui les mentalités et les trajectoires individuelles. Installé en Allemagne, il porte un regard distancié sur ces phénomènes et leur influence persistante. Dans cet entretien, il revient sur son rapport à l’écriture, la nécessité d’une réflexion collective sur ces enjeux et sa vision de l’édition en tant que passeur de voix littéraires.
Votre recueil Afrisiti, les forces obscures qui étranglent l’Afrique aborde la superstition avec un regard critique et humoristique. Qu’est-ce qui vous a poussé à explorer ce sujet si sensible dans vos nouvelles ?
Je me suis longtemps demandé pourquoi l’Afrique ne parvenait pas à décoller et à se développer comme les autres continents. J’ai alors réfléchi à cette question dans mon premier recueil de nouvelles intitulé Carton rouge (le jour), paru en 2016 en autoédition. Les sources des problèmes que j’avais passées en revue étaient le népotisme, les guerres religieuses, la corruption, la perte d’identité, etc.
Après la publication, je suis resté sur ma faim : il me semblait que l’ouvrage ne répondait pas entièrement à ma question. Aux problèmes que la raison pouvait discerner et que l’on rencontrait « le jour », comme l’indique le sous-titre, je soupçonnais d’autres maux, plus occultes, qui se déroulent « la nuit » : la superstition, la sorcellerie et le maraboutage.
Par ailleurs, étant originaire du monde rural, j’ai souvent entendu dire que, la nuit, certaines personnes se transformaient en animaux pour attaquer ou tuer d’autres. J’ai aussi vu des lutteurs et des footballeurs dont les carrières ont été brisées par des pratiques mystiques (le khon), notamment pendant les nawetans et les combats de lutte. Tous ces éléments m’ont poussé à m’intéresser de plus près au phénomène de la superstition en Afrique subsaharienne, à comprendre son modus operandi et à réfléchir aux conséquences que ces pratiques peuvent engendrer.
À travers des récits ancrés dans le passé, le présent et le futur, vous mettez en lumière l’impact durable des croyances occultes sur le développement de l’Afrique. Pensez-vous que la littérature peut être un levier de changement face à ces réalités ?
La littérature aide à mieux cerner, comprendre et expliquer ces genres de phénomènes et propose des solutions, suscite le débat et pousse à réfléchir enfin que les gens puissent se remettre en cause et changer d’attitude.
En tant que Thiessois vivant en Allemagne, comment votre expérience de la diaspora influence-t-elle votre regard sur les problématiques africaines, notamment celles liées à la superstition ?
Le fait de vivre en Europe, particulièrement en Allemagne, m’a permis de prendre du recul par rapport aux problèmes que connaît l’Afrique et de mieux y réfléchir. Voir les Européens participer à des tournois sportifs et les remporter sans recourir à des pratiques comme le maraboutage ou la sorcellerie m’amène à m’interroger et à remettre en question ces croyances.
Vous êtes également éditeur chez les éditions Ceddo. Comment conciliez-vous votre rôle d’auteur et celui d’éditeur, et quelle est votre vision pour promouvoir la littérature africaine, notamment sénégalaise, à l’international ?
Allier les deux rôles — écrire des livres signés Ben Amar Faye et publier ceux d’autres auteurs aux éditions Ceddo — n’est pas chose aisée. Ma carrière d’éditeur prend souvent le pas sur celle d’écrivain. Il m’arrive même d’oublier que je suis nouvelliste, que je dois, de temps à autre, prendre le temps de réfléchir au monde et d’en traduire la complexité sous forme de nouvelles. Ma trajectoire littéraire personnelle importe peu : ce qui compte avant tout pour moi, c’est de porter la voix des écrivains, en particulier celle des jeunes plumes.
Pour promouvoir la littérature sénégalaise, l’État, à travers le ministère de la Culture et la Direction du Livre et de la Lecture, doit s’impliquer davantage dans la création de conditions propices à l’éclosion et à la préservation de notre production littéraire. Il est essentiel, par exemple, de mettre en place une Bibliothèque nationale et un centre de restauration des œuvres tombées dans l’oubli.
De nombreuses œuvres d’écrivains sénégalais ne sont plus disponibles, car les maisons d’édition qui les ont publiées ont disparu. Je pense notamment au livre *La putain amoureuse d’un pèlerin juif* d’Aminata Sophie Dièye, alias Aminata Zaaria, publié en 2007 par les éditions L’Esprit des péninsules. Cette œuvre est aujourd’hui introuvable depuis la fermeture de cette maison d’édition.
S’il existait une véritable Bibliothèque nationale chargée d’archiver systématiquement les productions littéraires du pays, la disparition de ce type d’ouvrage pourrait être évitée. La littérature fait partie intégrante de notre patrimoine national : la préserver est un devoir collectif.
Les éditions Ceddo se distinguent par la qualité esthétique de leurs publications. Quelle importance accordez-vous à l’apparence des livres et comment cela reflète-t-il votre philosophie éditoriale ?
À travers le soin apporté à l’esthétique, nous invitons le lecteur à avoir envie d’acheter et de lire le livre. Mais au-delà de l’apparence, il est essentiel que l’objet soit solide : il ne faudrait pas que les pages se détachent ou s’envolent à la lecture.
Notre philosophie repose également sur l’idée que le livre ne se limite pas à la bibliothèque : c’est aussi un objet de musée, un élément de décoration. C’est pourquoi chacun de nos ouvrages est le fruit d’un travail de recherche approfondi.