
Une plongée dans l’œuvre d’un poète majeur du XXe siècle, premier président du Sénégal et premier Africain à siéger à l’Académie française, qui a su conjuguer engagement politique, défense des cultures africaines et célébration de l’universel.
Marqué par l’expérience de Senghor comme prisonnier de guerre en France Chants d’ombre paraît juste après la Seconde Guerre mondiale. Comme le souligne Alain Mabanckou, « Senghor va inventer une langue nouvelle où la tradition africaine rencontre la langue française et où l’ombre devient la lumière. » Le recueil s’ouvre sur le poème Joal, une évocation du village natal du poète, où résonnent les souvenirs d’enfance mêlés à la nostalgie de l’exil européen. Ce premier texte témoigne de la signature musicale qui caractérisera toute l’œuvre de Senghor. Alain Mabanckou rappelle également le rôle déterminant de Georges Pompidou, camarade de Senghor à l’École Normale supérieure, qui l’encouragea à publier ce premier livre.
L’Afrique au féminin et la célébration de la beauté noire
Au cœur de Chants d’ombre figure Femme noire, poème devenu emblématique de la négritude et récité par des générations d’écoliers africains. Alain Mabanckou confie : « Combien de fois n’avais-je pas été fouetté, comme on dit chez nous, parce que je n’avais pas mis autant d’emphase dans la récitation de Femme noire ? » Pour le poète, l’Afrique prend les traits d’une femme, symbole de beauté, de fertilité et d’espoir. « Léopold Sédar Senghor savait que l’espoir même de l’Afrique reposait entre les mains des femmes », analyse Alain Mabanckou. Bien que parfois contesté pour son prétendu exotisme, ce poème demeure selon l’écrivain « peut-être le texte le plus moderne de notre littérature », une reconnaissance de la place centrale des femmes dans les sociétés africaines.
De Paris à New York : une poésie de l’universel
L’œuvre de Léopold Sédar Senghor ne se limite pas à la célébration de l’Afrique. Ses poèmes Neige sur Paris et À New York témoignent d’un regard lucide sur l’Occident, qui mêle critique de la colonisation et appel à la réconciliation. Dans Neige sur Paris, le poète évoque sa solitude tout en lançant un appel à la fraternité et à la sororité. Son Poème À New York, tiré du recueil « Éthiopiques » (1956), révèle sa fascination pour le jazz et Harlem, tout en dénonçant l’inhumanité de la métropole américaine. L’auteur du récent Ramsès de Paris insiste sur l’actualité de cette œuvre : « Ces textes parlent encore de nous dans un monde traversé par les crispations identitaires. Léopold Sédar Senghor nous propose une négritude ouverte, un humanisme du métissage et du dialogue. » L’écrivain conclut sur la défense passionnée que Senghor faisait de la langue française, qu’il qualifiait de « langue des dieux », capable de tous les registres : « Le français, ce sont les grandes orgues qui sont prêtes à tous les timbres, à tous les effets, des douceurs les plus suaves aux fulgurances de l’orage. »
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