
Il est des échanges que l’on aborde avec la retenue dictée par les convenances, et d’autres que l’on embrasse avec la ferveur des correspondances littéraires, celles qui, loin de se réduire à de simples joutes rhétoriques, nourrissent en profondeur le débat d’idées. Il y avait longtemps que je ne m’étais prêté à cet exercice, la dernière fois remontant à mes échanges avec le poète Fara Njaay, qui ont donné naissance au recueil D’Ombres et d’Échos (Al Fàruq Éditions, 2022), finaliste du Prix Cénacle national du livre en 2023. J’ose espérer que notre échange connaîtra un destin encore plus heureux.
C’est donc avec un plaisir sincère que j’ai découvert votre réponse, à la fois généreuse et réfléchie, qui témoigne d’une humilité, d’un esprit ouvert à la discussion et d’une attention réelle pour le livre et la lecture au Sénégal. Je vous ai lu avec attention et plaisir, appréciant autant la rigueur de votre argumentation que l’élégance de votre style. Votre propos allie retenue et fermeté, précision et hauteur de vue, dans un équilibre rare qui honore le débat d’idées. Vous avez pris la peine de répondre point par point, sans esquiver les questions essentielles, et pour cela, je vous en sais gré. Puisque vous m’avez demandé, avec cette courtoisie qui vous est propre : « PMSY, puis-je me permettre ? », je vous répondrai avec la même élégance : « Un échange d’idées ne saurait exister sans liberté. Alors, à votre guise ».
Vous avez évoqué Les Monologues du silence (L’Harmattan, 2016), recueil de poèmes en lice pour le Grand Prix du chef de l’Etat 2017, sur proposition de mon éditeur. Si je n’ai pas jugé utile d’en parler initialement, c’est moins pour laisser entendre que le processus de sélection était « irréprochable » que pour éviter de personnaliser le débat, car je trouve les enjeux de fond plus essentiels que les parcours individuels. Cela dit, abordons la question plus profondément. N’est-il pas incongru d’évaluer, dans une même compétition, un recueil de poésie et un roman ? Si l’on se fie uniquement au volume, un roman de 400 pages peut sembler plus méritant qu’un mince recueil de poèmes. Pourtant, entre vous et moi, j’estime qu’un seul quatrain d’Omar Khayyam pèse plus lourd que bien des romans entiers. Dès lors, quelle place accordons-nous réellement à la poésie ?
En 2017, sur les dix ouvrages sélectionnés pour le Grand Prix du Chef de l’État pour les Lettres, un seul était un recueil de poèmes. Et jamais encore un poète n’a été couronné de cette distinction depuis 1997. Pourtant, le Sénégal est une terre de poètes. N’est-il pas temps d’instituer un Grand Prix du Chef de l’État pour le Romanesque et un autre pour le Poétique, afin que chaque forme d’expression trouve la reconnaissance qu’elle mérite et qu’aucun genre littéraire ne soit relégué au second plan ?
Dans cette dynamique, il convient alors d’encourager les initiatives privées qui, par leur engagement, pallient les insuffisances de la politique publique. Le Cénacle des Jeunes Auteurs du Sénégal, qui distingue les œuvres séparément par genre (roman, nouvelle, poésie), et le Collectif Parlons Poésie, qui met exclusivement à l’honneur la poésie à travers le Prix Ibrahima Sall, en sont de parfaits exemples. De telles initiatives méritent d’être soutenues et mieux encadrées. Il ne faudrait pas les percevoir comme une menace pour l’ordre établi, mais bien comme un complément nécessaire à une action publique encore limitée.
Je constate avec plaisir que nous nous retrouvons sur bien des points. Vous soulignez — et votre ami Amadou Lamine Sall s’en réjouirait sans doute — la nécessité d’un encadrement plus rigoureux des distinctions littéraires, afin d’éviter ces « conflits d’intérêts » qui minent leur crédibilité, y compris lorsqu’il s’agit du Grand Prix du Chef de l’État. Vous insistez également sur l’importance d’une Bibliothèque Nationale du Sénégal (BNS) qui ne soit pas qu’un vœu pieux, mais un véritable carrefour du savoir. Enfin, vous rappelez le rôle stratégique que l’État doit jouer dans la valorisation des écrivains et de leurs œuvres. Sur ces questions essentielles, il est réconfortant de constater que nous partageons une même ambition : celle d’un Sénégal où le livre n’est pas seulement un ornement culturel, mais un véritable levier de transformation sociale.
Mais, s’agissant particulièrement de la BNS, je m’étonne que vous évoquez un « avant-projet de loi sur le livre », alors qu’il existe déjà un cadre juridique bien établi. Dès les années 70 — il faut le rappeler — , la loi 76-30 du 9 avril 1976 posait les premières bases, suivie, plusieurs décennies plus tard, de la loi 2002-17 du 15 avril 2002, qui a officialisé la création de la Bibliothèque Nationale du Sénégal. Promulguée par le président Abdoulaye Wade après son adoption par l’Assemblée nationale le 3 avril 2002, cette loi stipule clairement, dans son exposé des motifs, que la Bibliothèque nationale dispose d’une personnalité juridique et d’une autonomie financière lui permettant d’exploiter ses collections et services afin d’accroître ses recettes propres. Dans ces conditions, plutôt que d’élaborer une nouvelle loi, ne serait-il pas plus judicieux et efficace de s’appuyer sur le cadre juridique en place en le réactualisant ?
Par ailleurs, vous avez fait une belle plaidoirie de la DLPL. Je reconnais votre mérite, M. le Directeur, ainsi que celui de toute votre équipe, dont j’ai eu l’occasion de côtoyer certains membres, dynamiques et engagés pour le livre. Mais la question de l’impact de vos actions demeure essentielle.
Votre mention des salons nationaux du livre appelle également un regard critique. En six ans, le Sénégal n’a connu que trois éditions du Salon national du livre : en 2018 (Saint-Louis), 2021 (Dakar) et 2024 (Fatick). Un rendez-vous triennal, faut-il le rappeler, n’est pas un calendrier culturel, mais une anomalie institutionnelle. Pendant ce temps, ailleurs, des rendez-vous littéraires majeurs se tiennent chaque année avec régularité : le Salon du livre de Genève, le Salon du livre africain de Paris, ou encore le Salon international de l’édition et du livre de Casablanca. Ces événements ne sont pas de simples vitrines, mais de véritables leviers pour la promotion du livre, la structuration des industries culturelles et la valorisation des auteurs.
En ce qui concerne nos bibliothèques, M. Le Directeur, je ne suis malheureusement ni bureaucrate ni archiviste, et je ne prétends pas détenir les statistiques précises sur le nombre de bibliothèques en péril au Sénégal. Mais je suis un homme de terrain, témoin direct de la réalité. Ce que je vois, ce que je constate en parcourant nos villes, c’est l’état inquiétant de nos bibliothèques communales, souvent délaissées, sous-équipées, parfois réduites à de simples salles poussiéreuses où les livres se meurent dans l’oubli. Éclairez-moi, est-ce vrai que sur 552 communes que compte le Sénégal, seules 42 disposent d’une bibliothèque municipale dont beaucoup sont en état de quasi-abandon ?
Ce que je note aussi, en tant que professeur de lycée, c’est l’absence criante de bibliothèques dans nos écoles, où les rares ouvrages disponibles sont entassés dans des hangars, loin des mains curieuses des élèves. Quant aux bibliothèques existantes, elles souffrent d’un autre mal : l’invisibilité de notre propre littérature. Où sont les rayons dédiés à la littérature sénégalaise ? Où sont les étagères consacrées à la poésie de notre pays, pourtant si riche et foisonnante ? Trop souvent, nos auteurs sont relégués à l’ombre, absents des catalogues. Certes, les Centres de Lecture et d’Animation Culturelle (CLAC) sont une belle initiative, mais ils méritent un suivi rigoureux, un accompagnement plus soutenu, afin qu’ils ne deviennent pas, eux aussi, de simples vitrines sans véritable impact. Le livre ne saurait être un ornement ; il doit vivre, circuler, nourrir les esprits et affirmer notre identité culturelle.
Je sens que ma plume s’étire en longueur, et pourtant, je n’ai pas encore livré l’essentiel des propositions concrètes que je voulais partager avec vous pour une refonte nécessaire du livre au Sénégal. Peut-être est-ce la fatigue du jeûne qui alourdit mes phrases et m’invite à suspendre ici mon élan. Mais l’occasion se présentera, j’en suis convaincu. En attendant, je vous remercie pour cet échange stimulant et vous dis, non pas adieu, mais à très bientôt, là où les mots se donnent rendez-vous pour façonner l’avenir du livre.
Papa Moussa SY (PMSY)
Professeur de Lettres
Écrivain-poète
J’ai tellement apprécié l’importance du livre que vous avez fait un exposé. Je l’ai lis en englais mais je vous félicite pour votre présence dans le monde du livre au Sénégal. Merci beaucoup pour votre contribution pour le développement intellectuel de la jeunesse Sénégalaise.