La lecture de ce recueil de nouvelles « TISSERRANDES » fait de tout mâle une femme, même celui dont l’égo de virilité dépasse ce que le patriarcat voudrait faire de lui. Dans la chaire, comme dans l’esprit, on se sent femme, après chaque phrase lue. Quel art ! On lit chaque nouvelle sans s’arrêter, tellement le récit est poignant. L’encre est trempée au plus profond de l’intime dramatique féminin, des arcanes labyrinthiques de la condition féminine, non pas celle intrinsèque au genre qui est une déclinaison de l’humanité commune, mais celle que le machisme et le patriarcat érigent avec son lot dommages et de souffrances injustifiables, celle-là que Fatimata Diallo Ba examine avec une subtilité de narratrice, d’artiste qui permet de comprendre sans prisme, sans radicalité naïve, ce que les femmes vivent et qui ne peut ne pas toucher, émouvoir, interpeller pas seulement les femmes, mais aussi les hommes qui infligent ces souffrances aux femmes.

La plume de Fatimata Diallo Ba est une manifestation de l’intelligence totale, celle qui ne fige pas les regards, celle qui décloisonne, celle qui croise les expériences pour élargir les angles de vue, celle qui ne juge pas, mais pointe les faits, accuse sans méchanceté ni rancune. L’écriture nouvelliste prend ici la forme d’un militantisme féministe qui s’exprime dans une radicalité narrative de dénonciation, de révolte et d’impulsion de liberté à travers des personnages féminins fascinants qui font face à des situations complexes de domination et d’humiliation sans accepter de les subir malgré leurs moyens limités de résistance et de refus d’une condition imposée. Les « nouvelles » de Fatimata Diallo Ba sont une prise de parole de libération de toutes celles qui sont « abimées » sans désespérer ni renoncer à la vie. C’est leur hymne mêlé de chants douloureux sur le fond d’une musique d’où jaillit des sonorités et couleurs de vie, de rebondissement et de désir d’une dignité retrouvée sans haine.

La sororité intégrale, celle qui ne considère que la « sœur », quelle qu’elle soit traverse le recueil du début à la fin. Surpasser le mal, reprendre l’élan évanescent de la vie, saisir les grâces, entendre l’écho des murmures de l’avenir sans peur, aimer même s’il faut trainer avec les cicatrices, mais ne jamais renoncer…

Fatimata Diallo Ba construit un récit de tremplin, sans consentir, ni faire de concession sur les malheurs des femmes dont elle conte les vécus lourds. Dans la plume de Fatimata Diallo Ba, le féminisme s’incarne en humanisme. Un féminisme dépouillé de snobisme et d’exclusion. La théorie féministe radicale exclut les hommes du combat féministe parce que soutenant que ceux-ci même s’ils peuvent être solidaires ne peuvent pas être féministes car ils ne subissent pas dans la chair ce que les femmes éprouvent elles-mêmes, mais dans le récit de l’auteure, il y a ce qu’on peut appeler une sorte d’« expérience élargie », car on y constate une manière de creuser l’intime de la souffrance des femmes qui en fait une souffrance humaine à combattre, et là, elle fait des hommes, des féministes, à part entière, d’où « l’humanisme », qui est le synonyme idéal du féminisme que ce recueil semble bien théoriser implicitement .

Les nouvelles sont littérairement alléchantes, et la dimension intergénérationnelle qui témoigne de la solidarité mutuelle qui doit exister entre les femmes quel que soit l’âge éclaire davantage cette sororité fidèle à elle-même : une communauté de sœurs tisserandes unies par les liens humains pour se maintenir debout peu importe les turbulences.

Dans ce recueil de Fatimata Diallo Ba, la trame intérieure de la narration dicte la forme du texte, certaines nouvelles sont plus longues que les autres, car, ici, les règles d’écriture ne sont pas figées, elles sont dans l’état d’âme de vécu même des personnages, elles sont dans le mouvement des histoires qui constituent la vraie règle qui se passe de règles. Si « Fanta » mobilise le lecteur émotionnellement, le frappe, l’interpelle gravement « Les vieux amants du Mont Parnasse » embelli agréablement, évasivement avec une poétisation des espaces narratifs qui suscite le plaisir esthétique au sens fort du terme. La plume narrative de Fatimata Diallo Ba assoit au fil de ses productions une identité philosophique du récit, une écriture qui fait du pardon, un geste d’humanité, une voie de guérison et une forme d’élévation qui épure et consacre à ses belles lettres une finalité cathartique.

Fatimata Diallo Ba transmet ce qu’elle a reçu de sa grand-mère Mame Deffa, et là, on tient quelque chose de ce qu’elle fait de ses personnages qui à leur tour même au fond de l’abîme cherchent à retourner le bien par la voie du pardon.

Ce recueil est une intelligence lumineuse, une bienveillance humaine à partager.



Mafama GUEYE