
Quand mon ancienne étudiante m’a remis son manuscrit, comme le font du reste beaucoup d’autres apprentis écrivains, j’ai eu des appréhensions.
J’avais peur de recevoir, encore une fois, un récit bancal ou un poème qui n’avait rien de poétique que de rimes factices. Mais dès que j’ai pénétré le seuil de texte de Dado Touré, j’ai été séduit par l’amorce de ce récit dont on ne sait s’il est une longue nouvelle ou un court roman. La suite de mon parcours du texte a heureusement confirmé le goût des prémices ressentis à l’entame de ma lecture.
Malgré les fautes et les maladresses qui parsemaient le texte, j’avais découvert un récit intéressant et intelligent qui, une fois corrigé, pourrait procurer à tout lecteur ce Barthes appelle le plaisir du texte. Certes le sujet abordé est habituel et même éculé, car il s’agit du viol et de la violence faite aux femmes que l’on trouve dans de nombreux romans sénégalais tel que l’Ombre en feu de Mame Younouss Dieng, les Chants des ténèbres de Fama Diagne Sène, le Ventre de l’Atlantique de Fatou Diome, la Malédiction de Rabi de Mamour Gueye et l’écharpe des jumelles de Momar Samb…
Mais la manière dont Dado Touré a traité le sujet, sur le plan narratif, est d’une singularité telle qu’on est séduit par son récit qui se tisse avec des techniques narratives qui conjuguent classicisme et modernité.
En effet, tout au long des douze brefs chapitres que compte son récit, l’auteure nous raconte deux histoires de viol qui concernent une fille et sa mère que des liens invisibles du destin relient dans une malédiction qui suscite des sentiments de compassion et d’indignation chez le lecteur. Et la narratrice se fait un devoir moral de témoigner, pour toutes les femmes violées en général et pour l’amie qui a été victime du même sort : Dans son avant-propos, l’auteure crée ce que Maupassant appelle l’illusion du réel qui crée un contrat de véridiction entre le récit et le lecteur.
« Cet ouvrage est tiré des faits qui m’ont été rapportés et les taire serait une trahison à la mémoire de toutes les femmes qui ont été violées et bannies par la société, (…). C’est une façon aussi de rendre hommage à une amie d’enfance qui a enduré des sévices similaires et qui me confiait ses douleurs à chaque fois que l’occasion se présentait ».
Khaar sera relayé par le récit de sa mère Saly qui, avant de se suicider, a laissé à son amie une boîte contenant une photo et une lettre. C’est ce message légué par la mère qui constituera la deuxième histoire racontée. Le caractère subtil et naturel de l’enchainement de ces deux histoires de viol manifeste un vrai talent de narratrice qui mobilise des techniques propres à l’éthique moderne du roman.
Le manuscrit retrouvé de Paolo Cuelho exploite un procédé qui remonte en Don Quichotte du Cervantès, en passant par Une Vie de Boy de Ferdinand Oyono et Samacande d’Amin Maalouf.
C’est grâce à cet art de raconter et de créer l’illusion du réel que Dado Touré nous raconte ces deux histoires de viol qui sont une dénonciation et une condamnation de ce traitement injuste et révoltant que les hommes et la société infligent aux femmes. Voilà pourquoi ce récit nous touche en nous racontant sans haine et avec tendresse le sort des femmes victimes de violences, et sans jamais tomber le péché des romans à thèse. Tout au long du récit, la narratrice raconte plus qu’elle ne disserte.
Ce premier roman de Dado Touré, même s’il n’est pas un coup de maître, contient les germes d’une narratrice de talent qui, en croissant, portera les fruits succulents que sont les grandes œuvres romanesques.
Nous prions pour que cet ouvrage ait un succès retentissant, afin de que son auteure ait l’envie et le courage de nous pondre d’autres récits qui confirmeront notre espoir.
Mouhammed Habib Kébé,
Enseignant-Chercheur et Ecrivain.