
Partir loin de son pays n’est jamais chose facile. Mais le plus douloureux, c’est d’y revenir avec un rêve brisé. Ces deux phrases, à elles seules, suffiraient pour dire l’essentiel du roman de Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye. Puisque j’ai opté pour le détail- pas celui du diable, je précise que Soleils invincibles ( Présence Africaine Éditions, 2025) est l’histoire d’une vie.
Il raconte les péripéties du parcours d’un étudiant ambitieux qui voit sa vie basculer dans son pays d’accueil. Expulsé de Cissane, pays qu’il a aimé de tout son cœur, il retourne dans son Toumouranka natal avec tant de promesses inachevées.
Entre espérances de l’exil et promesses inachevées
À Cissane, Dramane, personnage principal du roman, subit plusieurs injustices : accusations de vol dans les métros, mauvaises conditions de travail, maltraitance de l’institution policière et, pour le mauvais coup du destin, mort de son ami Lahsen, au chantier de travail. En voulant réclamer un enterrement décent pour son ami- décédé dans des conditions indignes -, il se heurte à la dure réalité du contrôle de policiers qui, sans aucune compassion à sa douleur de l’instant, lui réservent le traitement que mériterait a priori un sans-papiers comme lui : retour au bercail. Le prétexte de son expulsion est on ne peut plus cruel. Même la mort, aussi douloureuse soit-elle, n’est point une circonstance atténuante.
De retour à son Toumouranka, il fait face à la « réalité immuable » d’un pays (Biomo) qui n’a pas connu grande évolution dans sa marche. Lui qui incarnait l’espoir d’une famille entière n’a pas été à la hauteur de toutes les attentes. Les promesses du passé n’ont pas porté leurs fruits. La déception s’installe et occupe (presque) tout l’espace familial. Résultat : son accueil, froid, est un langage qui épouse le lexique de la déception et des attentes parties en fumée. Sa mère, devrais-je dire la fibre maternelle, l’accueille et le rassure malgré les reproches mais son père n’a que le silence comme seule forme de communication.
La parole peut tuer. Le silence aussi…
Par une belle métaphore, la parole se voit attribuer tout le pouvoir d’une balle qui, une fois sortie, ne revient plus jamais. On ne maîtrise plus sa destination ni le mal qu’elle peut causer. Elle peut froisser, blesser, détruire, tuer. La parole a également tous ses pouvoirs. Dans le contexte du roman, Dramane, à son retour dans son quartier, fait l’objet d’invectives, de moqueries… pour le simple fait qu’il n’a pas réussi sa vie dans sa terre d’accueil. À ce propos, son père lui reproche, à travers une de ses Lettres mortes, de s’être trompé d’objectif en voulant rester vivre à Cissane : « J’ai malheureusement raison. Il n’était pas prêt. Partir, même pour étudier, est toujours risqué. Il faut une grande force de caractère pour revenir (p.161).
Son investissement financier sur son fils est une grande faillite, un échec qu’il ne parvient pas à digérer. À cela s’ajoutent ses appels auxquels Dramane refusait de répondre. Avec la distance et toutes les autres incompréhensions, le vide s’est davantage creusé entre sa famille et lui. L’espoir porté sur lui se brise et, progressivement, le tissu familial se déchire. Pire encore, la grossesse de sa petite sœur constitue une grosse boule coincée dans la gorge du père autoritaire. Respecté par tous, il était plus préoccupé à laver son honneur que de témoigner soutien et amour à ses enfants.
Entre le désespoir incarné par Dramane et le poids de la douleur de la grossesse de Tabara, difficile de savoir lequel le ronge à ce point. Colère ou Honte ? Les deux, peut-être. Face à un tel sentiment d’humiliation, il se replie dans un silence aussi expressif qu’inquiétant ; un silence plat, lourd jusqu’à son dernier souffle. Pour annoncer sa mort, la mère de Dramane n’a pas pu trouver une formule aussi poignante : « Le silence l’a tué » ( p. 109).
Le politique et le social comme toile de fond
En prêtant plus d’attention à la trame de l’histoire, force est de constater que le politique et le social sont deux aspects non négligeables en ce sens qu’ils sont autant de prétextes parmi tant d’autres qui favorisent l’exil des jeunes (Africains) à la recherche d’une « existence sociale » digne de ce nom.
À cause d’une mauvaise gestion politique et d’un regard social pesant, ils cherchent à braver tous les obstacles pour tout simplement réussir leur vie, surtout dans des sociétés où l’argent (le bien matériel) semble être érigé comme seul critère de réussite sociale. C’est d’ailleurs pour cette raison, ce besoin d’exister, que Dramane tente de retourner, par tous les moyens possibles, à Cissane, pour corriger son passé. Être ne suffit pas, il faut avoir.
Dans cette quête, la voie du Sahara et de la mer s’offre à lui et à toutes celles et tous ceux qui nourrissent le même désir d’exister. Ces deux voies sont, malheureusement, comme des mouroirs qui les accueillent. Heureusement que Dramane n’ y perd pas la vie ; il est de ces soleils qui, malgré toutes les difficultés, refusent de s’éteindre. Le résultat de son envie ardente de retourner à Cissane, après une tentative échouée, est un appel à la raison à toute personne prête à s’engager dans ces voies au risque de sa vie. Le destin lui offre une nouvelle chance de se réaliser comme il l’a toujours souhaité, un autre avenir possible, un nouveau « souffle à l’espoir qu’on a cru enterré à Toumouranka » ( p.373).
Un style au service du poétique
Excusez, tout d’abord, sa longueur. Même en voulant faire une note succincte, je ne pourrais pas passer sous silence ce point très important. Il est impossible, à mon avis, d’ aboutir à la fin de ce roman sans pour autant être marqué par deux choses : la simplicité dans l’écriture et la poétique dans la manière de raconter les faits et évènements. Ces deux éléments, sans tomber dans la banalité, ont beaucoup contribué « au plaisir du texte ».
De plus, le sens de l’humour de l’auteur facilite la lecture et installe une atmosphère détendue dans le rapport du lecteur avec le texte. Les phrases simples, parfois très courtes, gardent un certain charme dans leur force évocatrice et les phrases complexes, parfois un peu longues, respectent toute la rigueur de la syntaxe ; elles ne s’égarent ni dans la formulation ni dans le vouloir exprimer.
Toutefois, je me permets (de faire) un amendement sur un aspect qui, en fin de lecture, a particulièrement attiré toute mon attention : la coupure. Certaines coupures de phrases peuvent parfois, à mon sens, influer légèrement sur la fluidité du texte. Mais, même pour un roman, peut-on sérieusement reprocher à un poète cette liberté de langage ? Tu m’en diras plus.
En somme, il faut dire que Soleils invincibles est à la fois une histoire singulière et plurielle. Singulière par le fait qu’il porte en grande partie sur les péripéties de l’exil et du retour de Dramane, à Toumouranka, avec toutes les attentes converties en reproches. Plurielle dans la mesure où, à travers l’histoire du personnage principal, se sont greffées d’autres histoires. Chaque personnage, dans le roman, raconte la sienne au prisme de son point de vue. Cette polyphonie, loin d’être une cacophonie de voix, est l’un des points forts dans la narration en ce sens qu’elle engage une distribution très équilibrée de la parole.
Elaz Ndongo THIOYE
Écrivain-poète.

[…] son roman « Soleils Invincibles« , Cheikh Ahmadou Bamba Ndiaye explore avec finesse et profondeur le destin de Dramane, un jeune […]