Fantine a eu un enfant hors mariage. Le père biologique a malheureusement fuit ses responsabilités. Alors, afin de subvenir à ses besoins, la mère confia l’enfant à des aubergistes – la famille Thénardier – moyennant une somme à verser. Mais ces tuteurs exploitent et maltraitent l’enfant, la pauvre Cosette. C’est à ce stade du récit que correspond ce texte soumis à notre réflexion ; il est extrait du roman intitulé Les Misérables, une œuvre publiée en 1862 par Victor Hugo. Dans cet extrait soumis à notre réflexion, il est justement question de cette pauvre petite fille maltraitée qui souffre le martyr à cause du travail auquel elle est injustement assujettie et de la maltraitance à laquelle elle est exposée au quotidien. Dans la perspective d’un commentaire suivi, nous articulerons notre analyse autour de deux mouvements : le premier qui va du début à “fardeaux” s’intitulera la maltraitance de Cosette. Quant au second qui concerne le reste du texte, il portera comme titre l’indifférence de l’entourage.

  La maltraitance de Cosette est flagrante à trois niveaux. À géométrie variable, la première différence de traitement est visible dans l’affection que la mère Thénardier voue à ses enfants à elle et la haine viscérale qu’elle témoigne à l’étrangère. Quoi de mieux pour expliciter cet état de fait qu’une figure d’opposition : l’antithèse. Elle rapproche ici deux idées opposées (amour et haine) pour mieux mettre en évidence la contradiction dont la femme fait preuve. D’ailleurs, des antonymes sont employés expressément pour mieux révéler cette différence de traitement et dès le début du récit : aimer / détester, caresses / coups.
  La deuxième preuve de la maltraitance de Cosette n’en est que la suite logique ; elle est visible lorsqu’on mesure la tendresse de la « somme de caresses » d’un côté et, de l’autre, le châtiment corporel exprimé par la « somme de coups et d’injures ». Ce parallélisme sert à exprimer moins une égalité qu’une différence criarde qui scandalise.
   La troisième preuve de cette différence de traitement que nous identifions de façon flagrante est perceptible dans les travaux forcés auxquels seule Cosette est astreinte ; et pour mieux suggérer cet état de fait, le romancier a recours à deux figures de style : la première est la périphrase. C’est une figure qui consiste en désigner en plusieurs mots « c’est-à-dire avant même qu’elle eût cinq ans » ou encore « Dès qu’elle se mit à se développer un peu », ce qu’on pourrait dire en peu de mots ; à force d’observer ceux-ci, on perçoit qu’ils sont ainsi réunis pour donner une idée plus précise sur l’âge de la petite Cosette ; ce n’est qu’une enfant ! La deuxième figure de style qui scandalise davantage est la gradation ascendante présente lorsque l’auteur dit de la fille qu’elle avait l’obligation de « balayer les chambres, la cour, la rue, laver la vaisselle, porter même des fardeaux ». Non seulement les verbes d’action comme « balayer », « laver » et « porter » la maintiennent dans des activités ménagères qui ne baissent pas d’intensité mais, pire encore, sont exécutées dans un cadre spatial de plus en plus grand : « la chambre », « la cour », « la rue ». Comme nous pouvons le constater, la charge de travail est donc complètement disproportionnée pour une fillette de son âge.

  En un mot, pour mieux mettre en exergue la maltraitance réservée à Cosette, l’auteur compare le sort de cette dernière aux filles de la mère Thénardier ; toutefois est-ce que le voisinage s’en est rendu compte ?

   L’entourage éprouve certes et d’une part un sentiment de pitié à l’endroit de Cosette. Mais osons le dire tout de suite : ce n’est pas parce que les villageois sont témoins de la maltraitance que subit cette fille. C’est plutôt à cause de la rigueur du climat à laquelle elle est exposée. Son tremblement sous le froid ne passe pas inaperçu ; pour le traduire, Hugo emploie ici une allitération en [r] par des mots comme « navrante… pauvre… grelottant… trouées ».
   D’autre part, pour achever de faire savoir que ces villageois n’ont aucune idée de la souffrance que la fillette endure, ils ont imaginé un surnom qui ne colle pas vraiment à sa situation. Deux ressources esthétiques en apportent la preuve. L’une est avant tout la focalisation, c’est-à-dire le point de vue à partir duquel les informations du texte sont relayées par les personnages ou narrateurs. Convenons d’abord d’une chose : ici la focalisation est interne parce que c’est à partir du regard (complice ?) des villageois que le portrait de la jeune fille est peint. L’autre effet de style dont le romancier fait usage, c’est cette métaphore filée qui montre que ce point de vue est défaillant car c’est à travers cette figure de style que nous prenons conscience que ces villageois comparent mal Cosette à une alouette, cet oiseau connu pour son caractère matinal. Effectivement, si la comparaison semble a priori acceptable, c’est parce que ces deux êtres sont matinaux mais là s’arrête la correspondance. En effet, Cosette n’est pas aussi gaie que l’oiseau dont on perçoit chant bien souvent. Elle, elle ne chantait pas. Elle est toujours triste, pleureuse à vous fendre l’âme. Donc ces villageois n’ont aucune idée de l’origine de la souffrance de cette pauvre fille pareille à celles que Victor Hugo décrivait dans son poème « Melancholia » (Les Contemplations, Livre 3, 1856).

   En définitive, il nous fend le cœur de constater la maltraitance de cette fillette livrée à la haine, au châtiment corporel et aux travaux forcés. Pire encore, l’entourage ne remarque même pas que l’auteur de cette souffrance de Cosette n’est autre que la marâtre qui l’expose à la rigueur du climat et qui fait d’elle un oiseau en cage et qui ne chante guère.
   À la suite de l’analyse de ce texte, nous avons été particulièrement séduits par un usage assez rarement égalé de la métaphore filée qui, au départ fait voir une ressemblance de la fille à l’alouette mais qui, au final, se révèle faussaire de cette comparaison.
   Par ailleurs, n’est-ce pas cette image de la pauvre Cosette qui ne cesse de nous rappeler ces personnages maltraités par des belles-mères ou marâtres sans cœur, à l’image de Coumba l’orpheline de Birago Diop, de Cendrillon de Charles Perrault et même de Soundjata de Djibril Tamsir Niane ?

Issa Laye DIAW
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